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mercredi 13 février 2013

Entretien avec Maria Semple


 
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Littératureet Entretiens  

Entretien avec Maria Semple
 - (Bernadette a disparu, Plon, Janvier 2013)

- Maria Semple, Bernadette a disparu, Plon, Janvier 2013, 381 p., 21 €, ISBN : 978-2-259-21730-9

Une famille formidable

Paru en janvier dernier chez Plon, le drôlissime et très original Bernadette a disparu de Maria Semple a déjà séduit de nombreux lecteurs. Rencontre avec la pétillante romancière américaine.


Parutions.com : La forme de Bernadette a disparu mêle un récit à la première personne (la jeune Bee étant la narratrice) à toute une variété de documents écrits. Pensez-vous avoir renouvelé le roman épistolaire ? Était-ce le seul choix possible pour l'idée que vous aviez en tête ?
Maria Semple : Lorsque j'ai commencé à écrire le livre, Bernadette en était la narratrice, mais très rapidement, elle m'a semblé devenir trop envahissante. J'ai alors opté pour un récit à la troisième personne, malheureusement l'histoire tombait à plat. Puis j'ai eu l'idée suivante, Bernadette aurait une assistante à qui elle enverrait par email ses instructions afin qu'elle se charge des courses quotidiennes. Quand j'ai essayé d'écrire la première lettre, quelque chose a fait tilt et je me suis dit, pourquoi seulement Bernadette, pourquoi pas tous les personnages ? Pour moi qui adore les romans épistolaires, c'était totalement excitant. Je n'ai pas la prétention d'avoir renouvelé le genre mais si par ce biais les gens redécouvrent des romans aussi extraordinaires que Les Liaisons dangereuses de Laclos ou Les Passagers anglais de Matthew Kneale, j'aurai le sentiment d'avoir accompli quelque chose !

Parutions.com : Des emails mais pas de messages Facebook ou Twitter. Y avez-vous songé ?

Maria Semple : Je n'aime ni Facebook, ni Twitter, ni les SMS, je n'avais aucune envie que cela vienne polluer mon livre ! Raconter une histoire à l'ancienne m'intéressait beaucoup plus. Et pourtant mes personnages y sont bel et bien confrontés à des problèmes très modernes ce que je trouve amusant !

Parutions.com : Asociale et agoraphobe, Bernadette se repose quasi entièrement sur Manjula, son assistante virtuelle indienne, qui la décharge de toutes les tâches quotidiennes, mais elle lui confie également beaucoup de choses personnelles. Très mauvaise idée quand on voit à quoi aboutit cette «amitié». Vouliez-vous dénoncer quelque chose ou était-ce simplement une façon de souligner la fragilité psychologique de Bernadette ?
Maria Semple : Bernadette a un côté très autoritaire mais elle n'aime pas le contact avec les autres. Cette idée d'une assistante virtuelle à qui elle pourrait donner des ordres me semblait simplement vraiment bien convenir au personnage.

Parutions.com : Au fil des pages, Bee et le lecteur découvrent la personnalité de Bernadette dans toute sa complexité mais également les souffrances qu'elle a endurées. Une carrière d'architecte prometteuse arrêtée en plein vol suite à un échec cuisant, à savoir la démolition de la maison 20KM, son chef d'œuvre, par son pire ennemi à qui elle l'a vendue par erreur. Vingt ans plus tard, elle n'a toujours pas tourné la page ce qui l'empêche d'avancer dans la vie. Parce que voir son œuvre saccagée est la pire des choses pour un artiste ou bien parce qu'elle se sent inconsciemment responsable et ne parvient pas à l'admettre ?

Maria Semple : Je trouvais intéressant d'écrire sur une femme incapable de surmonter l'échec. J'aime ce sujet de l'échec. Douloureux et inavouable, c'est aussi la plus grande leçon que l'on peut tirer de la vie. Mais notre culture ne l'accepte pas. Pour la majorité, les vidéos les plus regardées sur YouTube sont celles où des gens sont tournés en dérision. D'une certaine manière, les hommes ont appris à surmonter un échec professionnel et à poursuivre leur carrière. Pour les femmes, il en va différemment, elles prennent un échec de ce type de façon beaucoup plus personnelle.

Parutions.com : Avez-vous totalement inventé la maison 20KM ou bien y avait-il dans les années 1990 aux États-Unis des architectes engagés dans des projets écologiques et sans déchets ?

Maria Semple : Je l'ai inventée. Je suis partie de l'architecture actuelle pour remonter dans le temps et donc essayer d'imaginer une carrière de précurseur pour Bernadette.

Parutions.com : Le mari de Bernadette, Elgie, travaille pour Microsoft. Une prestation brillante lors d'une conférence TED à propos d'un programme révolutionnaire, Samantha 2, l'a propulsé au rang de star. Visiblement vous maîtrisez parfaitement le sujet ! Faire des recherches dans le domaine de l'informatique vous a-t-il semblé plus difficile qu'explorer celui de l'architecture ?
Maria Semple : Je m'estime chanceuse car la maison 20KM et Samantha 2 sont deux idées qui me sont venues très tôt dans l'écriture du roman. Pour les rendre crédibles, j'ai fait des recherches. J'ai un ami, architecte et professeur brillant, qui m'a aidée à étoffer la carrière de Bernadette dans le milieu de l'architecture. Et puis, j'ai eu la chance de rencontrer un gros bonnet de Microsoft (il y en a plein à Seattle !) qui m'a gentiment fait visiter le complexe et a répondu à mes questions. Tous les deux ont relu les épreuves au fur et à mesure que j'avançais et m'ont aidée pour la terminologie. Quand un architecte ou un employé de Microsoft me disent à quel point le roman leur a semblé précis, j'apprécie énormément le compliment.

Parutions.com : Au fil des années, la relation entre Bernadette et Elgie est devenue compliquée. Bernadette peut se montrer épouvantable certes mais ne porte-t-il pas sa part de responsabilité dans le fait que Bernadette se complaise à ce point dans l'auto-apitoiement et la victimisation ?

Maria Semple : Je ne sais pas… Je crois que finalement on est seul responsable de sa vie. Bernadette n'a jamais confié ses problèmes à Elgie, elle ne lui a donc jamais donné la chance de l'aider.

Parutions.com : Tout comme vous, Bernadette a quitté Los Angeles pour s'installer à Seattle, une ville qu'elle trouve au départ détestable. Pourriez-vous envisager de mettre en scène des endroits moins familiers ?

Maria Semple : Visiblement non ! Lorsque j'écris un roman, il me semble important de rendre mon histoire vivante et crédible, j'y ajoute donc une quantité de détails qui concernent la vie quotidienne de mes personnages mais finalement ces détails concernent tout autant l'endroit où ils vivent.

Parutions.com : Bernadette se sent appelée par l'Antarctique où elle retrouve l'inspiration créatrice ce qui lui permet de laisser le passé derrière elle pour avancer de nouveau. Dans la vraie vie, pensez-vous qu'un endroit puisse avoir un tel pouvoir ?

Maria Semple : L'inspiration est insaisissable, elle peut venir de n'importe où. Lorsqu'un artiste la ressent, il est de son devoir de tout lâcher pour la suivre.

Parutions.com : Seule Bee refuse l'idée que Bernadette ait pu disparaître pour de bon. Bernadette de son côté est malgré tous ses défauts une bonne mère qui adore sa fille. Le roman s'achève sur une lettre particulièrement émouvante envoyée par Bernadette à sa fille. Une très jolie illustration de l'amour maternel. Comment définiriez-vous ce lien particulier ?
Maria Semple : Je souhaitais avant tout raconter l'histoire de deux personnes qui se comprennent et apprécient la compagnie de l'autre. Bernadette et Bee se sentent à l'aise ensemble, je n'ai pas essayé de rendre les choses plus compliquées.

Parutions.com : Votre roman est incroyablement drôle. Est-il dans votre nature de rire de tout ?
Maria Semple : Absolument ! Je vois le monde sous un angle comique. Je suis sûrement née comme cela. C'est quelque chose dont j'ai eu besoin pour passer le cap de l'enfance et dont je ne peux pas me débarrasser. Même si je suis témoin d'un truc horrible dans la rue par exemple, je rentre à la maison et je dis à mon mari : «Tordant, ce que je viens de voir !»

Parutions.com : Vous avez longtemps travaillé comme scénariste pour la télévision américaine. Dans quelle mesure cela vous aide-t-il lorsque vous écrivez un roman ?

Maria Semple : Cela m'aide énormément. J'ai appris à créer des personnages convaincants et attachants, à construire une intrigue bien ficelée et à imaginer des dialogues mordants ce qui est très utile pour un roman. J'ai également appris que pour obtenir un résultat satisfaisant, il faut travailler dur.

Parutions.com : Lorsque vous avez achevé Bernadette a disparu, qu'avez-vous pensé ? «J'ai écrit un super roman ou bien je viens d'écrire le livre que je voulais écrire ?» L'un n'excluant pas l'autre !
Maria Semple : J'aimerais posséder cette confiance ! Je craignais d'avoir passé deux ans à travailler comme une folle sur un manuscrit qui n'avait aucun sens. J'avais peur que personne ne puisse suivre l'intrigue. Depuis la publication du roman, beaucoup de choses merveilleuses se sont produites toutefois ; je me souviens d'un épisode décisif qui m'a encouragée pendant le travail d'écriture. Une amie passait le week-end à la maison, je lui ai confié l'une des premières moutures pour qu'elle me donne son avis. Elle a passé la nuit à lire et le matin arborait un grand sourire. «Tu as compris ? C'est logique ?», lui ai-je demandé. Quand elle a répondu par l'affirmative, une vague de joie et de soulagement m'a submergée. Je n'avais jamais connu ce sentiment en tant que romancière.

Parutions.com : Bernadette a disparu va être adapté au cinéma. Quel rôle allez-vous jouer dans ce projet ?

Maria Semple : J'ai deux merveilleux producteurs. Nina Jacobsen a produit The Hunger Games et Megan Ellison, Zero Dark Thirty. Je n'ai pas souhaité écrire le scénario, la tâche me semblait trop ardue ! Nous avons donc engagé pour cela l'équipe de scénaristes qui a écrit 500 Days of Summer. Actuellement, ils sont en plein travail. Je suis également productrice du film et aurai à ce titre mon mot à dire. Nous avons vraiment rassemblé une équipe formidable ce qui me ravit et j'attends avec impatience de voir comment le film va prendre forme.

Parutions.com : Un très grand merci à vous.

Entretien réalisé par email et traduit de l'anglais (US) par Florence Cottin-Bee
( Mis en ligne le 13/02/2013 )
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