Pages

mercredi 18 avril 2012

Les lumières de septembre


Carlos Ruiz Zafón 
Les Lumières de septembre
Pocket- Jeunesse 2012 / 19€ /261 pages                                           

ISBN : 978-2-266-21305-9

FORMAT : 14cm x 22,6cm

François Maspero (Traducteur)


De l'ombre à la lumière

Dernier volet de la Trilogie de la brume écrite par Carlos Ruiz . Zafόn avant qu'il n'accède à la notoriété internationale, Les Lumières de septembre fait sans conteste écho aux deux précédents opus Le Prince de la Brume et Le Palais de Minuit.
Ici à nouveau, des adolescents se retrouvent engagés par la force des circonstances dans une lutte dangereuse contre un esprit maléfique dont le dessein les dépasse et mènent une enquête angoissante qui s'achève par un combat mortel. S'il existe de multiples points communs entre les trois romans tant sur le fond que sur la forme, chacun possède néanmoins son originalité propre.
Zafόn change de décor (l'Angleterre, l'Inde puis la France) mais surtout parvient dans les trois cas à créer une créature diabolique totalement différente. Particulièrement insaisissable par nature mais encore davantage dans Les Lumières de septembre vu qu'il s'agit d'une ombre. Construit autour du mythe du Doppelgänger, le roman propose une intrigue tout aussi complexe que celle du Palais de Minuit.
Nous sommes en 1937, Madame Sauvelle, fort désargentée après le décès de son mari quitte Paris avec ses deux enfants Irène et Dorian pour un petit village de Normandie. Elle est engagée par Lazarus Jann un riche marchand de jouets qui a besoin d'une gouvernante dans son immense et luxueuse demeure du bois de Cravenmoore. Étrange personnage, ce Lazarus qui vit entouré d'automates et reçoit chaque semaine une lettre qu'il s'empresse de détruire. Étrange également, la légende qui court dans les environs d'une femme noyée dont personne n'a jamais retrouvé le corps et qui revient se manifester au travers de lumières lorsque l'été s'achève. La jolie Irène se lie aussitôt d'amitié avec Hannah qui travaille déjà pour Lazarus et se sent vite attirée par Ismaël, le ténébreux cousin de la jeune fille. La mort inexplicable d'Hannah marque le début d'une aventure terrifiante...
Au fil des tomes de sa trilogie, on sent très nettement . Zafόn gagner en puissance et affirmer la patte qui le rendra célèbre. La puissance évocatrice et la maîtrise du récit qui se dégageaient déjà du deuxième volume trouvent avec Les lumières de septembre une dimension supplémentaire. Frissons garantis !

Florence Bee-Cottin
(Mis en ligne le 18/04/2012 sur parutions.com)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012

dimanche 15 avril 2012

Le lieutenant







Kate Grenville
Le lieutenant
Traduit de l'anglais par Mireille Vignol
Editions Métailié Bibliothèque anglo-saxonne
240 pages, 19 €
ISBN 978-2-86424-852-1

L'insoumis

La parution du premier volume de la trilogie de Kate Grenville, Le Fleuve secret (Métailié, 2010), avait provoqué un tollé chez certains historiens australiens qui accusaient la romancière de confondre son travail avec le leur et ne supportaient pas de la voir analyser les relations complexes entre colons britanniques et Aborigènes dans l'Australie du dix-huitième siècle. Pour le second volume, Le lieutenant, Kate Grenville prend donc ses précautions et annonce clairement l'intention qui l'anime « Ceci est un roman, qu'il ne faut pas confondre avec un traité d'histoire. » Partir de faits réels et s'appuyer sur des sources historiques ne signifie pas en rester prisonnière. Sublimer un matériau brut, voilà une ambition que la fiction autorise !

Kate Grenville s'inspire donc de la vie de William Dawes, un tout jeune lieutenant des marines qui accompagne en 1788 la première flotte acheminant des bagnards d'Angleterre en Australie. Un soldat particulier, féru d'astronomie, de mathématiques et de langues étrangères qui parvient à tisser un lien avec le peuple cadigal. Grâce à Patyegarang, une jeune fille à peine sortie de l'enfance qui accepte de lui apprendre sa langue, Dawes réussit à percer les mystères de l'idiome indigène et consigne ses recherches dans de précieux carnets. L'aventure prend fin lorsque ce singulier soldat affiche clairement son désaccord vis-à-vis des traitements indignes infligés aux Aborigènes par ses supérieurs, intolérable affront qui lui vaut d'être réexpédié contre son gré dans son pays d'origine.

De ces éléments biographiques et historiques connus mais interprétés naît un texte magnifique, à mi-chemin entre roman d'apprentissage et conte poétique.
Daniel Rooke, le double fictionnel de Dawes, est au début du roman un petit garçon surdoué et hypersensible qui endure « le supplice de ne pas être en phase avec le monde » Admis à huit ans à l'Académie navale de Portsmouth, il ne s'y fait pas d'amis mais y trouve matière à alimenter son insatiable appétit de connaissances mathématiques et linguistiques. Il se découvre bientôt une passion pour l'astronomie et la musique. Les années passent mais Daniel ne trouve toujours pas sa place pourtant « Il n'en avait aucune preuve, mais il croyait dur comme fer qu'il trouverait un jour quelque part dans le monde, l'endroit qui conviendrait à la personne qu'il était. »
L'histoire lui donnera bien sûr raison. Repéré par l'Astronome royal pour ses qualités intellectuelles, Daniel, d'origine modeste, se voit néanmoins contraint de s'engager dans les forces navales de l'armée britannique et participe aux combats féroces de la guerre d'Indépendance. Outre-Atlantique, le concept d'esclavage prend vie, une vérité répulsive qui choque intimement le jeune soldat.
Plus scientifique que militaire, la mission suivante entraîne le lieutenant en Nouvelle-Galles du Sud, entouré d'un bataillon de forçats dont Sa Majesté ne sait que faire. Il est chargé d'observer le retour d'une comète ce qui lui permet d'installer son observatoire à l'écart du camp militaire et de ses supérieurs. Non loin des « naturels » qui semblent refuser la communication.
« Nous devons absolument établir un contact amical avec les natifs … Sans leur coopération, nous risquons de compromettre le progrès et l'existence même de cette colonie. »
Discours officiel et mensonge éhonté car c'est à la force que les officiers recourent pour s'imposer. Une violence à laquelle en répond une autre. Comment dans ces conditions parvenir à « maîtriser la langue indigène » , seul vecteur de communication possible ?
La réponse est simple : « la langue était une machine. Pour l'activer, chaque aspect devait être compris en relation avec tous les autres. Une langue nécessitait une personne capable de démanteler la machine … un homme à l'approche systématique, un homme de science … tout dans sa vie l'avait mené à cette mission. Il vit cela aussi clairement qu'une carte, la carte de sa vie et de son acteur. » mais ce sont les qualités humaines du lieutenant qui lui permettent d'y parvenir et de convaincre Tagaran de l'initier à sa langue.

Au cœur du roman palpite le sentiment extraordinaire qui unit Daniel et la petite Aborigène. Une amitié hors-normes, une relation maître-élève à double sens et un respect mutuel que rien ne peut salir ou entraver. La longue conversation qui s'engage entre eux est une merveille de poésie et de sensibilité, une fugue majestueuse dans laquelle Kate Grenville a choisi de reproduire tels quels des extraits des carnets de William Dawes qui s'intègrent parfaitement à l'ensemble.

Malheureusement pour Daniel, le rappel à la réalité colonialiste survient trop vite. Suite à une expédition punitive qu'il condamne, un choix clair s'offre à lui. Se taire et piétiner ainsi ses valeurs morales ou refuser de se soumettre à sa hiérarchie militaire et exprimer son avis, attitude pour laquelle il risque gros. La thématique du choix sous-tendait déjà Le Fleuve secret dans lequel le protagoniste, William Thornhill prend une décision terrible dont les conséquences douloureuses sont étudiées dans le dernier volume de la trilogie Sarah Thornhill (pas encore traduit en français)
Daniel Rooke choisit lui l'intégrité et part vivre ailleurs ses idéaux humanistes.

Un héros magnifique pour un roman tout simplement exemplaire de subtilité et d'intelligence.

Florence Bee-Cottin
(Mis en ligne sur parutions.com le 18/04/2012)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012


vendredi 13 avril 2012

Meurtre dans un jardin indien


Vikas Swarup
Meurtre dans un jardin indien
Traduit de l'anglais (Inde) par Roxane Azimi
Editions 10/18
 Collection littérature étrangère
Nombre de pages : 597 p.
Format : 110 x 177 mm
EAN : 9782264053336

Six petits Indiens

Le premier roman du diplomate Vikas Swarup Les fabuleuses aventures d'un Indien malchanceux qui devint milliardaire , adapté au cinéma par Danny Boyle sous le titre Slumdog millionnaire, avait séduit un large public, conquis par l'imagination et l'inventivité de son auteur. Comment un pauvre garçon peut-il sans avoir recours à une quelconque tricherie connaître toutes les réponses aux questions tordues posées par l'animateur de Qui veut gagner un milliard de roupies ? Or le héros n'a rien d'un tricheur, à chaque question correspond en effet un épisode d'une vie déjà bien remplie. Les liens qui unissent les différents personnages forment une trame solide patiemment construite au fil des pages dont le lecteur ne prend véritablement conscience qu'à la toute fin du livre.

Une construction habile et efficace que l'on retrouve dans Meurtre dans un jardin indien, le second roman de Vikas Swarup. Il s'agit cette fois d'un whodunit épicé qui régalera les amateurs d'Agatha Christie.

Qui s'est chargé d'assassiner l'odieux Vicky Rai, fils du ministre de l'Intérieur de l'Uttar Pradesh, lors de la somptueuse garden-party organisée pour célébrer son acquittement dans une affaire de meurtre ? Meurtre gratuit qu'il a bien sûr commis et qui vient s'ajouter à la liste déjà bien remplie de ses dérapages en tous genres.

Six suspects sont arrêtés, chacun portait une arme et possédait une bonne raison de vouloir faire passer Vicky de vie à trépas. Six suspects qui a priori n'ont rien en commun mais dont les destins sont pourtant liés les uns aux autres par une série d'événements qui constitue le fil directeur du roman et les amène à se trouver dans le jardin à l'heure du crime.

À chacun son substantif. Nous avons donc le bureaucrate, l'actrice, l'aborigène, le voleur, le politicien et l'Américain. Vikas Swarup opte pour une caractérisation conventionnelle et n'évite pas les clichés. S'agit-il d'une intention délibérée de forcer le trait et d'éviter des subtilités psychologiques qui n'amèneraient rien au récit ? Les six portraits frôlent tout de même la caricature et trois personnages perdent vraiment en crédibilité : Shabnam Saxena, l'actrice glamour de Bollywood qui cite Sartre et Nietzsche pour prouver qu'elle n'est pas une ravissante idiote, Eketi, le bon sauvage confronté à une société décadente et Larry Page, le Texan d'une naïveté confondante et d'une inculture stupéfiante.

Les six suspects sont au centre de six intrigues secondaires qui mettent en scène une foule d'autres personnages. Ces six histoires donnent à Vikas Swarup la possibilité de brosser un tableau critique de l'Inde contemporaine, présentée comme gangrenée par une corruption généralisée et d'aborder un nombre assez considérable de sujets – inégalités sociales, héritage de Gandhi, nationalismes, fondamentalisme, tragédie de Bhopal mais aussi arnaque au mariage, show-biz et télé-réalité !

L'ensemble se lit avec plaisir et ne manque pas d'humour mais ce côté fourre-tout en arrive parfois à masquer la qualité principale du roman. Meurtre dans un jardin indien propose avant tout une excellente énigme policière construite selon une architecture ingénieuse qui propose au lecteur-enquêteur sagace tous les indices pour démasquer le (ou la) coupable. À vos loupes et attention aux fausses pistes !

Florence Bee-Cottin
(Mis en ligne sur parutions. com le 11/04/2012)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012