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vendredi 28 décembre 2012

Le Monde à l'endroit

Le Monde à l'endroit                                      
d
e Ron Rash
Seuil 2012 /  19.50 €- 127.73  ffr. / 280 pages
ISBN : 978-2-02-108174-9
FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm

Isabelle Reinharez (Traducteur)


Poème appalachien

Incarnation puissante de ce sentiment d'appartenance que célébrait Eudora Welty, Ron Rash situe l'action de ses romans en Caroline du Nord, dans la région qui l'a vu grandir et où s'enracine son histoire familiale. La nature y est rude et le paysage appalachien façonne une société violente dans laquelle (sur)vivent des gens durs au mal et fatalistes, dont le quotidien semble bien éloigné du rêve américain.

Dans Le Monde à l'endroit (son troisième roman à être traduit en français après Un pied au paradis et Serena), Ron Rash met en scène un jeune garçon de dix-sept ans, Travis Shelton, dont le destin va basculer au cours d'un été paradoxalement salvateur.

Travis, qui a abandonné ses études, passe son temps entre cuites avec les copains, petit boulot mal payé et pêche à la truite. C'est justement en allant pêcher qu'il découvre par hasard un champ de cannabis dont il dérobe plusieurs plants revendus aussitôt à Leonard Shuler, le dealer local. Puis il retente l'aventure par deux fois sans se soucier des conséquences probables. Carlton Toomey, le propriétaire des lieux, n'entend en effet pas se laisser spolier de la sorte et mutile Travis en guise d'avertissement.

Rejeté par son père, une brute épaisse, Travis se réfugie dans le mobile home de Leonard qui a déjà recueilli Dena, une jeune femme toxicomane au bout du rouleau. Pure compassion de la part de Leonard ? Certainement pas ; c'est plutôt son passé en forme de cauchemar qui donne la clé de ce choix d'aider son prochain. Lui, l'ancien professeur, marié et père d'une petite fille, a perdu tout ce qui comptait à ses yeux et cherche désespérément à se racheter pour se raccrocher à la vie. Il voit en Travis un potentiel d'intelligence qu'il refuse de laisser en friche et le convainc de préparer un diplôme. Féru d'histoire, Leonard provoque l'intérêt de Travis pour la guerre de Sécession et l'amène à s'intéresser de près au massacre de Shelton Laurel qui a eu lieu dans les environs en 1863. Un jeu dangereux car comment réagira Travis en apprenant la responsabilité d'un ancêtre de Leonard dans la mort de presque tous les membres de sa famille ? Cependant, racheter cette faute n'est-il pas en fait le but ultime de Leonard lorsqu'il prend Travis sous son aile ?

Roman d'éducation noir, Le Monde à l'endroit se lit également comme un long poème dans lequel Ron Rash fait rimer âpreté et beauté. Avec une force émouvante.


Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 21/12/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012
www.parutions.com

vendredi 30 novembre 2012

L'Ange mécanique



La Cité des Ténèbres - Les Origines - Tome 1 - L'Ange mécanique
d
e Cassandra Clare
Pocket - Jeunesse 2012 /  18.15 €- 118.88  ffr. / 537 pages
ISBN : 978-2-266-21802-3
FORMAT : 14,0 cm × 22,5 cm

Julie Lafon (Traducteur)

Victoriana



Printemps 1878, suite à la mort de sa tante Harriet, Tessa Gray quitte New York pour rejoindre son frère Nathaniel à Londres. Un voyage éprouvant pour la jeune orpheline de seize ans que seul réconforte le petit ange mécanique qu'elle porte autour du cou, un bijou hérité de sa mère. Rien à voir pourtant avec ce qui l'attend ! Enlevée dès son arrivée en Angleterre par les Sœurs Noires qui retiennent son frère prisonnier, Tessa ne peut que leur obéir et accepter de suivre un entraînement très spécial. Il s'agit d'exploiter le don tout à fait particulier qu'elle ignorait jusqu'alors posséder. Cette capacité à prendre l'apparence de quelqu'un d'autre et à pénétrer son âme fascine visiblement un personnage très puissant, connu sous le nom de Magistère, qui souhaite épouser Tessa et se révèle être l'initiateur de son enlèvement.

Heureusement pour Tessa, Will et Jem, deux jeunes Chasseurs d'Ombres, lui portent secours et la conduisent à l'Institut, l'antre londonienne des Chasseurs d'Ombres. Elle y rencontre les autres habitants et se familiarise peu à peu avec un monde et un lexique dont elle ignorait tout. Sa qualité de métamorphe la range du côté des Créatures Obscures, à l'instar des vampires, des loups-garous, des fées ou encore des sorciers. Ces êtres surnaturels qui ont tous en eux une partie démoniaque sont liés aux Chasseurs d'Ombres par des Accords et un pacte qu'ils ne peuvent transgresser sous peine de mort. Quant aux Chasseurs d'Ombres ou Nephilim, descendants de l'archange Raziel, leur rôle consiste à protéger les humains des démons à part entière et des dangers surnaturels. Des marques tatouées sur leur peau leur garantissent entre autres pouvoirs de se dissimuler aux yeux des humains. Ces créatures terrestres dont ils méprisent quelque peu la faiblesse de caractère ! Tessa et ses nouveaux amis mènent l'enquête pour retrouver Nathaniel mais le Magistère n'a pas dit son dernier mot et peaufine un piège diabolique aidé par une armée d'automates sanguinaires qu'il a patiemment conçus.

Les lecteurs fidèles de La Cité des Ténèbres (déjà 4 volumes traduits chez Pocket Jeunesse) auront reconnu la marque de fabrique de Cassandra Clare. L'Ange Mécanique est en effet le premier des trois volumes d'une série qui s'intitule en américain The Infernal Devices (en français La Cité des Ténèbres, Les Origines). Une préquelle de la série The Mortal Instruments, à l'origine conçue pour constituer une trilogie mais qui au final comptera six romans.

Vu le succès phénoménal de La Cité des Ténèbres (ventes pléthoriques, fans totalement accros, adaptation au cinéma avec une sortie mondiale prévue en août 2013), on pouvait craindre le recyclage à but lucratif ; eh bien, non ! L'idée de Cassandra Clare de situer l'action dans le Londres de l'époque victorienne fonctionne bien et lui permet de passer de la fantasy urbaine ancrée dans le New York actuel à la fantasy steampunk dans un Londres fantomatique et angoissant. Et d'aborder des thèmes nouveaux, celui de la colonisation par exemple et du rôle peu glorieux des Britanniques dans le commerce de l'opium.

Les similitudes entre les personnages et les schémas narratifs s'apparentent plus à des échos qu'à des redondances imputables à un manque d'inspiration. Cependant nul besoin de percevoir ces échos et donc de connaître le reste de la saga des Chasseurs d'Ombres pour apprécier L'Ange Mécanique qui s'achève bien sûr sur un «cliffhanger». Que diable Will va-t-il fabriquer chez le sorcier Magnus Bane et d'ailleurs quel secret inavouable cherche-t-il à dissimuler ? Réponse en novembre 2013 dans Le Prince mécanique.



Florence Bee-Cottin
Mis en ligne le 14/11/2012

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012

vendredi 26 octobre 2012

Le Monde libre

Le Monde libre
de David Bezmozgis                                           
Belfond 2012 /  22 €- 144.1  ffr. / 407 pages
ISBN : 978-2-7144-5033-3
FORMAT : 14,5 cm × 22,8 cm

Élisabeth Peellaert (Traducteur)


Intermède romain

Premier roman de David Bezmozgis, Le Monde libre illustre parfaitement sa conviction selon laquelle l'essence de toute œuvre d'art provient d'un sentiment de perte irrémédiable.

Rome, juillet 1978. À l'instar de milliers de Juifs soviétiques qui souhaitent émigrer vers le monde libre, la famille Krasnansky quitte la Lettonie et se retrouve à Rome, point de passage nécessaire pour obtenir un visa vers les États-Unis. Trois générations composent la famille, Samuil et Emma, leurs fils, Karl et Alec, mariés respectivement à Rose et Polina, et leurs deux petits-fils. Dans le cas de Samuil, ancien général de l'Armée rouge, communiste pur et dur, il ne s'agit en aucun cas d'un choix mais d'une décision que lui ont imposée les siens. Un diktat qu'il entend bien contester à sa manière. Face aux incertitudes que réserve l'avenir, il préfère se replonger dans le passé et entreprend de rédiger une confession autobiographique.

Deux autres perspectives viennent compléter le regard de Samuil, celle d'Alec, coureur de jupons invétéré, qui voit dans cette aventure l'occasion de multiplier les plaisirs, et celle de Polina qui n'est pas juive et a tout abandonné pour lui.

Comme le confie David Bezmozgis dans l'entretien qu'il nous a accordé, son rôle d'écrivain tient de la mission - raconter l'histoire méconnue des Juifs soviétiques et laisser une trace d'un monde disparu. Cette mission n'est pas sans rappeler celle d'Isaac Bashevis Singer vis-à-vis des Juifs polonais. Le témoignage historique détaillé se double par ailleurs d'une réflexion éclairante sur la réalité complexe qu'entraîne la volonté d'émigrer. Sentiment de dislocation dû au déracinement, nostalgie du passé, doutes se mêlent à une exaltation libératrice face à l'idée d'un avenir meilleur.

L'entreprise était particulièrement ambitieuse, David Bezmozgis s'en sort brillamment.

Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 26/10/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012

Entretien avec David Bezmozgis

L'actualité du livre et du DVD
Littératureet Entretiens 
Entretien avec David Bezmozgis - (Le Monde libre, Belfond, Septembre 2012)
- David Bezmozgis, Le Monde libre, Belfond, Septembre 2012, 704 p., 22 €, ISBN : 978-2-7144-5033-3

Invité du Festival America de Vincennes fin septembre 2012 avec Le Monde libre, David Bezmozgis revient ici sur ce premier roman très remarqué et les raisons pour lesquelles il écrit.



Parutions.com : Dans Le Monde libre, vous reprenez le sujet principal de votre recueil de nouvelles, Natasha et autres histoires (éditions 10/18, 2012), à savoir l'expérience de Juifs soviétiques qui quittent la Lettonie pour émigrer au Canada. Pouvez-vous expliquer la manière dont les deux livres se complètent ?

David Bezmozgis : Natasha parlait de l'expérience de Juifs soviétiques immigrés en Amérique du Nord dans les années 1980 et 1990. Des centaines de milliers d'entre eux s'y sont installés à l'époque et j'ai écrit le livre parce que je n'avais vu personne traiter ce sujet. L'Amérique du Nord possède de nombreux écrivains issus de l'immigration et plus particulièrement de l'immigration juive. Une tradition que cette dernière vague d'immigration est venue prolonger. Il se trouve que c'est aussi l'histoire de ma famille et la mienne.

J'avais en effet dans l'idée que Le Monde libre vienne compléter Natasha. On sait tellement peu de choses en Occident sur ce qu'a été l'Union Soviétique et sur ce que les Juifs soviétiques ont vécu. Que cela soit au Canada ou aux États-Unis, et peut-être également en France, la façon dont les gens se représentaient l'immigration juive de Russie datait d'au moins un quart de siècle. Des images en rapport avec l'Holocauste, voire avec Un Violon sur le toit. Le Monde libre actualise cette représentation. Si ces immigrés russes et de l'ex-URSS qui habitent maintenant tant de villes occidentales semblent étranges ou difficiles à comprendre, le roman est là pour aider à expliquer pourquoi ils sont ainsi et ce qui a façonné leur communauté. Et bien sûr derrière mes deux livres, il y a la conviction que la vie de ces personnes est suffisamment intéressante et dramatique pour justifier qu'elle puisse être lue.

Parutions.com : Vous avez quitté la Lettonie pour Toronto avec vos parents à l'âge de six ans. Bien qu'elle ne soit pas autobiographique, votre fiction s'enracine donc dans votre propre expérience. Comment envisagez-vous votre rôle d'écrivain ? S'agit-il pour vous de recréer et donc de sauver un monde disparu de l'oubli ? Peut-on parler de mission ?

David Bezmozgis : Oui, j'ai eu le sentiment d'une mission à remplir. Un sentiment très fort dans le cas de Natasha parce que je pensais que rien n'avait été écrit sur cette communauté spécifique. Mais je crois que c'est vrai pour les deux livres. Il s'agit de laisser une trace d'un monde disparu. Ou plus exactement de mondes disparus. Le monde soviétique bien sûr mais aussi celui qui l'a précédé. La dernière lueur du monde yiddish des Juifs de l'Europe de l'Est tel qu'il existait en Union Soviétique. En tant que membre de la dernière génération en contact physique avec ce monde par l'entremise de mes parents et de mes grands-parents, je pensais qu'il s'agissait de quelque chose que les générations futures ne pourraient pas réaliser. Rien ne peut remplacer le fait de connaître personnellement et intimement les gens sur qui vous écrivez.

Parutions.com : Pour en revenir à votre roman, vous vous y concentrez sur une période de transition cruciale dans l'histoire de la famille Krasnansky. Êtes-vous d'accord avec l'idée que cette période agit sur vos personnages comme un révélateur ?

David Bezmozgis : Oui, je pense que c'est exact. Je suis convaincu que les situations stressantes révèlent qui nous sommes. Par ailleurs, pour certains personnages, il ne s'agit pas seulement du stress et du désarroi dus à l'émigration mais aussi d'une sorte de sentiment de libération du joug soviétique. Malgré la situation perturbante de réfugié, il y a cette exaltation d'avoir franchi le Rideau de fer. Ce double sentiment est très intéressant à exploiter.

Parutions.com : Beaucoup de personnages peuplent le roman et la famille Krasnansky se compose de trois générations. Il y a donc beaucoup de points de vue différents sur ce qu'était la vie en Union Soviétique, sur ce que l'émigration représente et sur le choix de l'endroit où s'installer. Trois voix se font écho, celle de Samuil, le patriarche, celle d'Alec, l'un de ses deux fils, et celle de Polina enfin, l'épouse d'Alec. Aviez-vous cela en tête dès le départ ou avez-vous réfléchi à la possibilité d'une construction différente ?

David Bezmozgis : C'était bien mon idée de départ. Je voulais offrir une représentation aussi complète que possible de ce que les Juifs ont vécu en Union Soviétique mais également de sortir des stéréotypes occidentaux sur la vie en Union Soviétique. Ces trois personnages extrêmement différents me le permettaient. Chacun possède un ton particulier. Celui de Samuil, ancien général de l'Armée rouge, viscéralement attaché au communisme, est grave. Celui de son plus jeune fils Alec, coureur de jupons hédoniste, est nettement plus léger. Pour Polina qui n'est pas juive, c'est encore autre chose. Et puis, il y a tous les autres membres de la famille et les personnages secondaires. J'espère donc que cela fait émerger un tableau exhaustif ou du moins aussi exhaustif que possible.

Parutions.com : Vous utilisez beaucoup l'analepse. Était-ce la meilleure façon de lier le fond et la forme ?
David Bezmozgis : Tous ces gens vivent un moment de transition, ils se trouvent entre deux mondes et le passé exerce donc sur eux une forte influence. Vu qu'ils n'ont pas encore atteint leur destination finale – le Canada, l'Australie ou les États-Unis –, ils ne peuvent pas se projeter correctement dans l'avenir. C'est un peu comme s'ils se sentaient dans trois dimensions en même temps, le passé, le présent et l'avenir. Le défi pour moi consistait à prendre en compte ces trois dimensions pour mieux faire comprendre qui sont ces gens et la manière dont ils se comportent. Un roman autorise ce va et vient dans la chronologie et permet de montrer le rôle que la mémoire et les souvenirs jouent dans notre vie.

Parutions.com : Samuil est un personnage très émouvant, qui refuse d'abandonner ses convictions politiques, ce qui représenterait pour lui une apostasie. Représentait-il pour vous une façon de «remettre les pendules à l'heure» et de corriger une vision déformée que les Occidentaux pourraient avoir des communistes purs et durs ?

David Bezmozgis : J'ai beaucoup d'affection pour Samuil et pour les gens de sa génération. Par la force des choses, ils ont vécu les événements les plus durs du siècle dernier, peut-être d'ailleurs les plus durs de l'histoire. Samuil, comme d'autres, a placé sa foi dans le communisme. Je pense qu'après l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est, l'idée qu'un grand nombre de personnes puisse avoir adhéré à cette idéologie semble étrange pour ma génération ou la suivante. Pourtant il n'y a pas si longtemps, quelqu'un comme Samuil ne démarquait en rien de la société, il faisait partie de l'avant-garde. Bien sûr, ils se sont rendus responsables de beaucoup de souffrances mais une certaine logique les guidait. Donc, oui, en effet, Samuil me permettait de «remettre les pendules à l'heure». À travers lui, je souhaitais contredire un certain nombre de mythes - lettons, juifs, russes et sionistes entre autres.

Parutions.com : Le seul ami de Samuil à Rome est Josef Roidman, un violoniste unijambiste. Correspond-il à votre définition de l'humour juif ?

David Bezmozgis : Il représente un contre-point ironique au personnage de Samuil. Tout en ayant vécu également des expériences difficiles, il ne réagit pas de la même manière. Face au malheur, il préfère afficher un haussement d'épaules et s'inscrit, en effet, dans la longue tradition de l'humour juif.

Parutions.com : Pour les Juifs soviétiques, la solution la plus simple était Israël. Dans le roman, seule Rose reste une vraie sioniste. Pour quelles raisons les autres personnages rejettent-ils l'idée de s'y installer ou bien refusent-ils d'y retourner comme c'est le cas pour Lyova ?

David Bezmozgis : Pour des raisons politiques, l'endroit le plus facile pour émigrer était en effet Israël. Les premiers Juifs à quitter l'Union Soviétique firent ce choix. Mais ensuite, alors que la plupart des sionistes convaincus avait quitté l'URSS, d'autres Juifs moins marqués idéologiquement ont voulu partir aussi plus par espoir de liberté que par conviction sioniste. La société soviétique était antisémite et la possibilité d'échapper aux restrictions que le régime imposait aux Juifs semblait attirante. Ces derniers souhaitaient repartir de zéro aux États-Unis, au Canada ou dans tout autre endroit qui leur permettrait un avenir meilleur. C'est la même chose pour l'immigration de nos jours. Les gens choisissent les pays occidentaux pour la liberté de mouvement, de religion, d'expression et pour les possibilités de progression dans l'échelle sociale. Dans l'esprit des Juifs, il y avait aussi l'idée que si les choses ne fonctionnaient pas au Canada ou aux États-Unis, il restait toujours la solution d'aller en Israël. Pour des raisons politiques, cela ne marchait pas dans le sens inverse. Une fois installé en Israël, il était beaucoup plus difficile pour un Juif d'émigrer vers un autre pays. C'est le cas de Lyova. Je montre aussi dans le roman pourquoi certains Juifs refusaient le choix d'Israël, cela s'explique principalement par la peur de la guerre et du terrorisme. Après avoir terriblement souffert sur plusieurs générations de guerres et de persécutions, beaucoup souhaitaient seulement connaître une certaine paix pour eux et leurs enfants.

Parutions.com : Le Monde libre évoque de nombreux faits historiques mais fourmille également d'anecdotes réalistes. Quelles recherches avez-vous effectuées ?

David Bezmozgis : J'ai beaucoup lu sur l'Union Soviétique et son histoire mais aussi sur l'Italie du vingtième siècle. J'ai passé quatre mois à Rome pour apprendre à connaître la capitale italienne et les villes avoisinantes qui servent de décor au roman. Et bien sûr, j'ai interviewé des gens qui ont vécu cette expérience à Rome, des membres de ma famille et des amis de Toronto.

Parutions.com : Émigrer implique également d'apprendre de nouvelles langues. Quel rôle joue l'espéranto dans le roman ? Le parlez-vous ?

David Bezmozgis : Lorsque je faisais mes recherches historiques, je suis tombé sur de multiples références à l'espéranto que la jeunesse révolutionnaire apprenait dans les années trente. Cela me semblait naturel de l'inclure dans le roman et qu'il y joue finalement un rôle important. J'ai commencé à l'apprendre et même si j'ai arrêté, cette langue m'intéresse toujours car elle est totalement à la marge. La communauté qui parle l’espéranto est toute petite et pourtant cette communauté existe. J'aime l'idée de consacrer du temps à quelque chose d'un peu irréaliste.

Parutions.com : Quels souvenirs d'enfant gardez-vous de la Lettonie ? Quel a été votre sentiment quand vous y êtes retourné en voyage ?

David Bezmozgis : Je n'avais que six ans lorsque je suis parti, je n'ai donc que peu de souvenirs et aucun ne me semble vraiment marquant. J'y suis retourné une fois en 2003. Toute ma famille a émigré ainsi que presque tous les amis de mes parents. Ce retour «à la maison» a donc constitué une expérience étrange. Non pas déplaisante mais bizarre et empreinte de mélancolie. Je me sentais lié à cet endroit mais le lien était ténu et appartenait au passé. Cela dit, il existe et j'essaie de me tenir au courant de ce qui se passe là-bas. C'est l'endroit où je suis né et cela signifie quelque chose pour moi.

Parutions.com : Comment vos parents ont-ils réagi quand vous leur avez annoncé votre volonté de devenir écrivain ?

David Bezmozgis : Mes parents souhaitaient me voir obtenir un emploi stable. Ma mère continue à dire que j'aurais pu être avocat et écrire à côté !

Parutions.com : Vous avez également écrit et réalisé un film Victoria Day. Envisagez-vous d'adapter Le Monde libre au cinéma ?
David Bezmozgis : Bien que je pense que l'on puisse en faire un film, rien ne me presse. J'ai passé sept ans à écrire ce roman, je suis content de faire autre chose maintenant. Je serais tout à fait content de laisser quelqu'un d'autre réaliser un tel projet !

Parutions.com : Êtes-vous un lecteur éclectique ?

David Bezmozgis : En fait, j'aime relire les mêmes auteurs et les mêmes livres, Leonard Michaels (dont le roman Sylvia est traduit en français), J.M. Coetzee, Dennis Johnson, Isaac Babel. Je lis aussi beaucoup dans le domaine de la non-fiction lorsque j'effectue des recherches. Par contre, je ne lis pas de policiers ou de livres qui parlent de vampires ou de zombies. Donc non, je ne me considère pas comme très éclectique.

Parutions.com : Quels sont vos projets en cours ?
David Bezmozgis : Je suis en train d'écrire un autre roman et j'ai également adapté ma nouvelle Natasha pour en faire un long-métrage que j'espère réaliser l'été prochain.

Parutions.com : Un grand merci à vous.

Entretien réalisé par email et traduit par Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 26/10/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012

dimanche 21 octobre 2012

Entretien avec Rebecca Makkai

Entretien avec Rebecca Makkai - (Chapardeuse, Gallimard, Août 2012)


- Rebecca Makkai, Chapardeuse, Gallimard, Août 2012, 367 p., 21 €, SBN : 978-2-07-013220-1 


Partons à la rencontre de Rebecca Makkai, invitée du dernier Festival America de Vincennes fin septembre 2012 avec son délicieux Chapardeuse.


Parutions.com : Pouvez-vous présenter aux lecteurs qui n'ont pas encore savouré Chapardeuse le duo improbable que vous avez imaginé et le voyage extraordinaire qu'ils entreprennent ?
Rebecca Makkai : Lucy Hull a vingt-six ans, elle est devenue bibliothécaire un peu par hasard mais s'est heureusement découvert une passion pour ce métier et les enfants qu'elle y rencontre. Ian est un enfant de dix ans, intelligent et solitaire qui vient presque quotidiennement se réfugier à la bibliothèque. Ses parents, des chrétiens conservateurs et fondamentalistes cherchent à le protéger de ce qu'ils considèrent être des influences néfastes. Ils restreignent et guident ses lectures puis, lorsqu'ils sentent que Ian pourrait devenir homosexuel, l'inscrivent à un programme de thérapie anti-gay. Ian s'enfuit à la bibliothèque et, en utilisant le chantage, oblige Lucy à prendre sa voiture et parcourir les États-Unis avec lui.

Parutions.com : Ces programmes homophobes que résume le terme effrayant de «thérapie réparatrice» sont majoritairement instaurés et défendus par des groupes de chrétiens fondamentalistes. Dans le roman, il s'agit d'une église évangéliste, le Ministère du cœur joyeux que dirige le pasteur Bob, un personnage sulfureux qui n'apparaît jamais. Pourquoi ce choix de ne pas le montrer ?
Rebecca Makkai : Il était assez tentant de le montrer. J'avais imaginé Lucy assister incognito à un service et observer le pasteur Bob. Mais en y réfléchissant davantage, j'ai trouvé qu'une telle scène ne correspondrait pas du tout aux thèmes du roman. À bien des égards, c'est un livre sur les histoires, les histoires que nous nous racontons et celles que nous racontons aux autres. Lucy essaie également de comprendre les histoires diverses qu'elle a entendues sur son père. Les décisions, justes ou pas, qu'elle prend à propos de Ian s'expliquent pour la plupart d'entre elles par les histoires qui entourent le pasteur et par ce qu'elle imagine de la vie de Ian avec ses parents. En montrant le pasteur Bob observé par Lucy, j'aurais perdu un peu de ce thème de la perception et des erreurs d'interprétation.

Parutions.com : Les psychiatres condamnent fermement ces programmes et les jugent nuisibles pour les jeunes. Le président d'Exodus International a récemment déclaré que l'organisation n'aurait désormais plus recours à la «thérapie réparatrice». Pensez-vous qu'une loi puisse un jour l'interdire ?
Rebecca Makkai : Cela vient tout juste d'être fait en Californie qui a interdit ce type de thérapie pour les mineurs. Cela restera probablement toujours légal pour les adultes qui entreprennent cette démarche de leur propre chef mais comme les pédiatres et les psychiatres continuent à s'élever contre le danger que ces thérapies représentent pour les enfants, je pense que dans la prochaine décennie elles deviendront illégales dans beaucoup d'autres états. Le problème reste la pression que le clergé pourra continuer à exercer sur ces jeunes.

Parutions.com : En ce qui concerne les droits des homosexuels, les États-Unis ont-ils, à votre avis, encore de gros progrès à faire ?

Rebecca Makkai : Oui, mais la situation varie énormément selon l'endroit où l'on se trouve. Si l'on compare Boston à une petite ville rurale et conservatrice, on n'a pas seulement l'impression de deux pays différents, c'est comme si l'on y vivait à deux siècles différents. Cependant les choses ont beaucoup évolué de manière positive ces dix dernières années, ce qui me semble de bon augure. L'une des raisons pour lesquelles je suis optimiste est que les jeunes Américains soutiennent très majoritairement les droits des homosexuels. L'intolérance qui caractérisait leurs aînés s'éteint avec eux.

Parutions.com : Il y a dans l'éducation que reçoit Ian un élément qui perturbe Lucy. Au début du roman, sa mère remet à Lucy une liste de thèmes interdits en littérature ce qui implique énormément de livres que Ian ne peut pas lire car il ne contiennent pas un «souffle divin». Avant de vivre de votre plume, vous étiez enseignante en primaire. Avez-vous rencontré ou entendu parler de parents évangélistes ou non agissant ainsi ?

Rebecca Makkai : J'ai enseigné dans une école Montessori pendant douze ans et j'ai travaillé avec des familles merveilleuses. Pour moi, Ian et sa famille ne pouvaient pas ressembler à des personnes que j'ai côtoyées à cette époque, je m'y sentais moralement obligée. Heureusement que je n'ai pas eu à vivre ce genre de situation ! Par contre, j'ai bel et bien entendu parler de parents se comportant ainsi et j'ai emprunté la phrase «les livres qui contiennent le souffle divin» à une anecdote que l'on m'a racontée sur une mère qui exigeait cela pour son enfant.

Parutions.com : Lucy ne supporte pas l'oppression parentale que subit Ian. L'idée que l'on puisse ainsi étouffer une personnalité en devenir la révolte. Elle cherche donc désespérément à aider le jeune garçon. Pourtant dans cette histoire d'enlèvement mutuel, Ian n'aide-t-il pas paradoxalement Lucy ?

Rebecca Makkai : Je ne sais pas si cette aventure l'aide ou améliore sa vie mais en tout cas elle en tire une leçon. Il me semblait important que ce voyage ne soit pas pour elle l'occasion de fuir quelque chose de mal. En fait, elle ne possède pas d'attaches dans le monde qu'elle s'est choisi, elle est loin de ses racines et elle n'a pas de liens affectifs forts. Ce n'est pas pour cela qu'elle s'enfuit (si c'était le cas, il y avait des moyens plus simples de quitter la ville) mais cela explique pourquoi il lui est un peu plus facile de tout quitter pour Ian. Je n'aurais pas pu écrire la même histoire en mettant en scène une Lucy bien intégrée et heureuse. Par contre, je ne suis pas sûre que sa situation personnelle soit meilleure à la fin du livre, elle est peut-être même pire d'une certaine manière. Mais la leçon de sagesse qu'elle en tire constitue une sorte de rédemption.

Parutions.com : Lucy semble parfois se persuader d'avoir agi de la bonne façon. Peut-on dire qu'elle se sent responsable mais pas coupable ?
Rebecca Makkai : Elle n'en est jamais convaincue. Plus le voyage se prolonge, plus elle doute d'elle-même et de tout ce qu'elle pensait savoir de Ian. Elle raconte l'histoire cinq ans après les faits et le peu que nous savons de sa vie à ce moment là est qu'elle se sent encore rongée par la culpabilité et l'inquiétude. Elle dit dès la première ligne qu'elle pourrait être la méchante de l'histoire. Si elle espère à la fin du roman qu'un espoir existe pour Ian, ce n'est pas dû au voyage qu'ils ont fait ensemble mais à la liste de lectures qu'elle parvient à lui transmettre. C'est vraiment l'histoire d'une personne animée de bonnes intentions qui prend les mauvaises décisions et s'en rend compte.

Parutions.com : Dans quelle mesure pouvez-vous adapter la célèbre phrase de Flaubert, «Madame Bovary, c'est moi», à Lucy et vous ?

Rebecca Makkai : Dans une toute petite mesure. Mon père, un réfugié hongrois, était poète et enseignait la linguistique. Le père de Lucy est également réfugié mais d'origine russe et il est mafioso. J'ai travaillé avec des enfants comme Lucy. Mais cela ne m'intéresse pas de créer des personnages qui pensent comme moi. Certains écrivains veulent se projeter sur la page, moi j'écris pour échapper à la vie de tous les jours, pour faire l'expérience d'un monde qui n'est pas le mien, pour rencontrer d'autres opinions. Les mêmes raisons, en fait, qui poussent beaucoup de gens à lire ou à regarder un film.

Parutions.com : L'histoire se déroule après le 11 septembre, pendant la présidence de G.W. Bush. Vous y faites allusion au Patriot Act qui venait répondre à l'attaque terroriste. Lucy considère que le Patriot Act est incompatible avec le Premier Amendement auquel elle est très attachée pour les valeurs qu'il défend. Au-delà du traumatisme évident, qu'est-ce-que le 11 septembre a modifié dans la société américaine ?
Rebecca Makkai : C'est une question très complexe. Fondamentalement je pense que pour les gens de ma génération, j'avais alors vingt-trois ans, les événements du 11 septembre ont éveillé une prise de conscience politique. Dans les années 1980 et 1990, il était possible d'être apathique sur le plan politique, de penser que nous vivions dans notre bulle. Nous avons dû nous mettre à réfléchir en termes de politique mondiale ce qui n'avait pas été le cas depuis les années 60. J'esquive peut-être votre question mais je raisonne surtout sur le plan littéraire et depuis onze ans la fiction s'est largement politisée.

Parutions.com : Nous évoquions ce qui vous rapprochait de Lucy. Contrairement à elle, qui prend la décision de ne pas avoir d'enfant par peur de souffrir, vous avez deux petites filles, comprenez-vous ce sentiment vis-à-vis de la maternité ?
Rebecca Makkai : Dans le cas de Lucy, cette décision, plus qu'une revendication idéologique, s'explique par sa conviction que si elle a des enfants, elle comprendra ce qu'elle a fait vivre aux parents de Ian et ne pourra pas le supporter. Je n'ai jamais eu d'états d'âme par rapport au fait de devenir mère, je ne pense pas que cela soit le cas pour toutes les femmes.

Parutions.com : De par son métier de bibliothécaire, Lucy voit et ressent le monde au travers d'un prisme particulier, celui de la littérature. Vous jouez beaucoup avec l'intertextualité dans Chapardeuse. Aviez-vous dès le départ dans l'idée d'intégrer autant de références littéraires ?

Rebecca Makkai : Au départ, je ne savais pas que Lucy serait bibliothécaire mais une fois cela décidé, il était évident pour moi qu'elle serait une narratrice très littéraire, cantonnée dans un monde d'histoires. Je pensais même au début à imaginer une rencontre sur la route entre Ian et Lucy et des personnages tout droit sortis de grands classiques (par exemple Gatsby de F. Scott Fitzgerald), finalement j'y ai renoncé car cette vision faussée du monde était trop partielle et ne concernait que Lucy. Elle emprunte à plusieurs reprises le rythme et le vocabulaire de certains livre pour enfants bien connus. La première partie que j'ai écrite se déroule juste après leur départ de la ville. Le style s'y apparente à celui de L. Frank Baum dans ses romans sur le pays d'Oz. Il me fallait relier tout ce qui se passait dans la tête de Lucy, la panique, la culpabilité, l'examen des différentes options possibles et tout me semblait très prévisible. Je me suis rendu compte que la seule manière dont elle pouvait justifier ses actes demeurait le fait de s'en dissocier et de les observer de façon volontairement indirecte. Elle se raconte donc l'aventure et je la laisse faire. Ensuite, il a été très amusant de trouver d'autres moments dans le roman où elle peut faire la même chose par ennui, désespoir ou tout simplement par humour.

Parutions.com : L'intertextualité crée, bien sûr, une complicité avec le lecteur. Aviez-vous cela en tête également ?

Rebecca Makkai : Je voulais rappeler aux lecteurs les premiers livres qu'ils ont adorés. Citer et jouer avec les textes qu'une fois devenus adultes, ils ont peut-être oubliés. Lorsque je fais des séances en librairie, je choisis souvent de lire le chapitre dans lequel Lucy remplit le sac à dos de Ian avec des livres. À chaque fois, quelqu'un vient me dire que l'un de ces livres était celui qu'il préférait, étant enfant. C'est merveilleux de voir tous ces gens se remémorer leurs premières amours littéraires. Parmi ces références, il y en a sans doute que la traduction ne peut pas rendre mais j'espère que les lecteurs non-anglophones ressentent également ce que je souhaitais faire.

Parutions.com : Chapardeuse rend hommage à la littérature mais aussi au pouvoir qu'elle détient. En réponse à la liste de Mme Drake, Lucy transmet à Ian comme cadeau d'adieu, une liste qui l'aidera à accepter qui il est quand il grandira. Vous avez posté sur You Tube une vidéo très intéressante qui s'adresse plus particulièrement aux jeunes de la communauté LGBT. Vous êtes comme Lucy convaincue que les livres peuvent nous sauver et modifier la perception que nous avons de nous-mêmes. Qualifieriez-vous ce pouvoir de subversif ?
Rebecca Makkai : Absolument. J'avais environ sept ans quand j'ai découvert dans un roman que le Père Noël n'existait pas. J'ai couru voir ma mère, le livre ouvert à la main comme preuve irréfutable. J'ai compris ce jour-là que les livres étaient des fenêtres ouvertes sur d'autres paradigmes, d'autres systèmes de croyances et d'autres conceptions du monde. J'ai toujours gardé cette conviction depuis, aussi bien quand je lis que lorsque j'écris.

Parutions.com : La bibliothèque où Lucy rencontre Ian représente pour le petit garçon un refuge et un espace de liberté. Et pour vous, que représente une bibliothèque?
Rebecca Makkai : Lorsque j'étais enfant, un lieu de découverte libre, presque subversif pour utiliser votre expression. Plus tard, j'ai compris l'importance de l'information gratuite, d'équipements et d'endroits mis à disposition où les citoyens peuvent s'éduquer par eux mêmes dans n'importe quel domaine. Maintenant, en tant que maman, j'y vois un endroit où je peux travailler tranquillement sur un nouveau livre sans crainte d'être interrompue. Je peux même y apporter mon café, à condition qu'il ait un couvercle !

Parutions.com : Le goût de lire est-il inné ou acquis, selon vous ?


Rebecca Makkai : Je pense que le besoin d'histoires est inné, nous le constatons avec des cultures qui ne possèdent pas de tradition écrite. Le goût de la lecture qui permet donc d'accéder à ces histoires a lui besoin d'être stimulé.

Parutions.com : Le titre français désigne quelqu'un qui commet de petits vols (''pilferer'' en anglais). Il sonne beaucoup mieux à l'oreille mais ne correspond pas exactement au titre américain (The Borrower) qui résume parfaitement le contenu du roman. Qu'en pensez-vous ?
Rebecca Makkai : L'avantage du mot «borrower» (un substantif non sexué) est qu'au départ il se réfère à Ian comme usager de la bibliothèque. Ensuite, il devient clair que Lucy emprunte également Ian. Emprunter est un verbe que nous utilisons volontiers pour décrire un auteur qui utilise les techniques littéraires d'un autre, ce que fait Lucy en racontant son histoire à la manière de grands classiques pour enfants. Dommage que ces résonances se perdent dans la traduction mais en fin de compte le titre est traduit plus fidèlement qu'en italien ou en portugais par exemple où l'on s'éloigne plus de l'idée de départ. Mais chaque traduction met en valeur un aspect différent du livre, chose que j'ai beaucoup appréciée. Par contre en anglais, The Pilferer, ça ne marcherait pas du tout, cela me fait penser aux Vikings !

Parutions.com : Avez-vous vraiment écrit votre première histoire à l'âge de trois ans ?
Rebecca Makkai : J'ai appris à lire toute seule quand j'avais trois ans et j'ai commencé à écrire des histoires dès que j'ai réussi à tenir un crayon correctement. Je me souviens avoir écrit des histoires sur les Schtroumpfs. Devenue adulte, j'ai découvert dans un placard chez ma mère un petit livre que j'avais fait quand j'avais environ six ans, cela s'appelait La Main de rien. J'ai utilisé ce titre dans le roman, c'est le titre de la contribution de Ian pour le concours d'histoires de la bibliothèque. Bien que son histoire n'ait rien à voir avec la mienne qui était assez dérangeante et mettait en scène des enfants nus qu'une main géante jetait en prison.

Parutions.com : La rédaction de Chapardeuse vous a pris de longues années. Entre-temps, vous avez écrit et publié des nouvelles qui ont obtenu d'élogieuses critiques. Maîtriser une forme courte vous a-t-il aidée?

Rebecca Makkai : Oui. Cela m'a donné confiance et permis de voir que je pouvais mener une intrigue à son terme. Toutefois, il s'agit de deux formes artistiques complètement différentes. Écrire une nouvelle, c'est comme peindre un petit portrait. Écrire un roman, c'est comme réaliser une peinture murale qui, lorsque vous travaillez dessus, est trop proche pour que vous puissiez la distinguer dans son ensemble. Ce qui implique une série de défis différents de ceux que rencontre le nouvelliste. Mais j'adore les deux formes et je vais continuer à écrire des nouvelles.

Parutions.com : Avez-vous envie d'écrire de la littérature jeunesse ? Et si vous aviez adopté le point de vue de Ian et l'aviez choisi comme narrateur, comme Huck dans Les Aventures d'Huckleberry Finn ?
Rebecca Makkai : J'aime beaucoup les livres pour enfants mais je ne me sens pas particulièrement attirée par la littérature jeunesse qui cible les adolescents. J'aimerais bien écrire un roman pour de jeunes lecteurs peut-être quand mes filles atteindront l'âge de Ian. J'ai pensé très brièvement à choisir Ian comme narrateur (en tant que romancière, je dois envisager toutes les possibilités) mais j'ai compris tout de suite que je n'y arriverais pas sur trois cents pages. À l'époque, j'étais toujours enseignante, alors si en rentrant à la maison j'avais dû passer mon temps dans la tête de Ian, je pense que je serais devenue folle !

Parutions.com : Vous travaillez actuellement sur un second roman. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Rebecca Makkai : L'action se situe à l'endroit où j'habite, non loin de Chicago. C'est l'histoire d'une maison d'artiste qui est devenue une propriété privée. Le passé de cette maison se dévoile peu à peu alors que nous remontons dans le temps. C'est une énigme littéraire, une histoire de fantômes et une histoire d'amour. Pour l'instant, le roman s'appelle The Happensack (un mot qui ne veut rien dire !).

Parutions.com : Une toute dernière question, un peu plus personnelle. Avez-vous réalisé à trente-quatre ans tous vos rêves de petite fille ?
Rebecca Makkai : Le problème avec une carrière artistique, c'est que l'on ne reste pas longtemps satisfait de ce que l'on parvient à faire. On se fixe toujours de nouveaux buts à atteindre. L'ambition ne me rend pas heureuse mais elle me pousse à continuer à travailler et le travail, lui, me rend heureuse. Cela dit, tant que je peux vivre de ma plume, je ne peux vraiment pas me plaindre.

Parutions.com : Un très grand merci à vous.

Entretien réalisé par email et traduit de l'anglais (USA) par Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 19/10/2012 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012
www.parutions.com

vendredi 21 septembre 2012

Bois Sauvage


Bois Sauvage                                                                          
Jesmyn Ward
Traduit de l'américain par Jean-Luc Piningre
Editions Belfond (Littérature étrangère)
19,50 €
352p.
ISBN : 978-2-7144-5316-7



Du sang et des larmes

De la première à la dernière page, Bois Sauvage de l'Américaine Jesmyn Ward est un roman qui prend aux tripes. Sans doute parce que la violence terrible qu'il dégage se voit maîtrisée et sublimée par le recours à un langage figuré qui écarte le texte du seul naturalisme et l'empreint d'un puissant lyrisme.
Sans doute également parce qu'il y a beaucoup de Jesmyn Ward, elle-même dans cette histoire d'une famille afro-américaine pauvre du Mississippi, frappée de plein fouet par l'ouragan Katrina en 2005.
Un traumatisme que la romancière a eu beaucoup de mal à surmonter et une tragédie qu'elle ne veut pas voir s'effacer de la mémoire collective.
Sans doute enfin parce que la narratrice et proganiste de Bois Sauvage est un personnage singulier, à mille lieues des clichés misérabilistes.
Esch, quatorze ans, vit entourée d'hommes depuis la mort de sa mère qui a succombé à son dernier accouchement. Son père, alcoolique et violent, ses frères, Randall qui espère percer dans le basketball, Skeeter, indissociable de China, sa chienne pitbull qu'il entraîne pour des combats sanglants et Junior, le plus jeune, qui se sent souvent délaissé. Et puis les copains de ses frères avec qui elle a des relations sexuelles consenties depuis qu'elle a douze ans. Manny en particulier « Il m'épluchait comme une orange, c'est l'autre moi qu'il voulait. Le cœur mûr et charnu, le cœur chaud et humide que les gars devinent sous mon corps de garçon, sous la peau noire, ma tête pas jolie. Un cœur de fille qui se laissait prendre par les autres avant lui, parce qu'ils le voulaient, pas parce que je le leur donnais... C'était différent avec Manny … Il voulait l'autre cœur, je lui ai donné les deux. »
Esch sait que Manny est le père de l'enfant qu'elle porte mais préfère tenir sa grossesse cachée le plus longtemps possible. Malgré ce corps qui la fait souffrir et l'angoisse qui la submerge à l'idée de devenir mère en l'absence de celle qui lui manque tant, la jeune fille puise dans sa rage de vivre la volonté pour tenir.
Déjà bien malmenés par la vie, Esch et les siens s'apprêtent de plus à faire face à un cataclysme qui s'annonce dévastateur.
Les douze chapitres de Bois Sauvage correspondent aux dix jours qui précèdent l'arrivée de Katrina, puis à la journée où l'ouragan frappe et au lendemain de la catastrophe qui fait office de catharsis et soude la famille.
« J'attacherai mes petits cailloux avec des ficelles, je les suspendrai au-dessus de mon lit pour qu'ils brillent dans le noir et qu'ils racontent l'histoire de Katrina, la mère qui a envahi le golfe pour tout massacrer, dans un chariot si grand, si noir que les Grecs auraient dit que la tempête chevauchait les dragons. Une mère assassine qui nous prit tout sauf la vie, qui nous laissa nus et groggy comme des nouveau-nés, ridés comme des chiots aveugles, ruisselants comme des serpents dans leur œuf brisé. »
Omniprésent, le personnage de Médée fascine Esch qui voit dans sa propre histoire une incarnation du célèbre mythe. Bois Sauvage prend alors une autre dimension. On ne peut en effet réduire le roman à une dénonciation crue et sans concession du quotidien ici misérable d'une communauté afro-américaine toujours victime de discrimination raciale et qui ne croit pas en la possibilité d'un avenir meilleur.
Un message plus universel se dégage. Quelle que soit la nature du désastre, il faut se battre pour survivre. Un combat nécessairement sauvage ce qu'exprime clairement le titre original (difficilement traduisible) Salvage the Bones qui joue sur les paronymes salvage (sauver) et savage (sauvage). Le titre français reprend lui le nom de la petite ville imaginaire de Bois Sauvage où vivent les personnages et qui ressemble beaucoup selon la romancière à DeLisle, la ville du Mississippi dont elle est originaire.
Nourrie de poésie et de hip-hop, la prose musicale de Jesmyn Ward véhicule des images souvent dures et sordides, parfois à la limite du soutenable mais célèbre aussi l'amour, la tendresse et l'espoir.
Un chant bouleversant, un choc de lecture.
Bois Sauvage , pour lequel Jesmyn Ward a obtenu en 2011 le très prestigieux National Book Award, possède tout simplement cette magie particulière qui caractérise les grands romans.

Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 12/09/2012)


Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012











Chapardeuse


Rebecca Makkai
Chapardeuse
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Samuel Todd
384 pages Prix : 21€
140x205 mm
Editeur : Gallimard
Collection Du monde entier
ISBN : 9782070132201


Wild at heart

Pourquoi une jeune bibliothécaire accepte-t-elle de kidnapper son plus fervent lecteur, un garçonnet de dix ans lorsque ce dernier le lui demande ? Quel sens donner à un acte a priori insensé et potentiellement lourd de conséquences ? Réponse dans Chapardeuse, premier roman particulièrement inventif et délicieusement subversif de Rebecca Makkai, jusqu'à présent connue pour ses nouvelles.
Née à Chicago et titulaire d'un diplôme de littérature, Lucy Hull, vingt-six ans, travaille dans la section enfants d'une bibliothèque d'Hannibal, petite ville peu fascinante du Missouri. Si Lucy avait accepté l'aide de son père qui lui proposait de faire jouer ses relations, elle aurait pu envisager une carrière plus lucrative dans un endroit plus excitant. Mais Lucy sait depuis longtemps que la fortune acquise aux Etats-Unis par son père, un émigré russe, est d'origine maffieuse. Mieux vaut donc se débrouiller par soi-même et ne rien devoir à personne. Cependant, loin de rejeter l'héritage paternel, la jeune femme attribue son propre tempérament au sang russe qui coule dans ses veines. « Mais comment qualifier un révolutionnaire en puissance scotché à un bureau ? Agité, peut-être. Ennuis. Un volcan endormi. »
Le volcan ne demande qu'à s'éveiller et c'est un petit garçon, Ian Drake qui lui en donne la possibilité.
Un enfant brillant et sensible, trop sensible sûrement au goût de ses parents, des évangélistes fondamentalistes. Afin d'éviter que des germes néfastes ne polluent l'esprit de son fils, Madame Drake entend tout d'abord interdire à Ian toute lecture qui ne contienne pas « un souffle divin ». La longue liste des sujets interdits qu'elle remet à Lucy laisse cette dernière abasourdie mais bien décidée à passer outre. Puis elle apprend que les Drake ont inscrit Ian à un programme de réhabilitation contre l'homosexualité initié par le trouble Révérend Bob Lawson, fondateur des Ministères du cœur joyeux.
L'idée d'étouffer ainsi une personnalité en construction révulse Lucy. Habitée par une rage intérieure, attisée par le souvenir de Darren, son ami de lycée homosexuel qui s'est suicidé sans qu'elle ne puisse rien faire, elle voudrait agir mais comment faire ?
Un matin, Lucy trouve Ian et son baluchon qui l'attendent à la bibliothèque. Ian veut aller voir sa grand-mère qui habite très loin. Malgré des hésitations, Lucy qui souhaite plus que tout l'aider fait semblant d'y croire et s'accroche à sa mission salvatrice.
À bord de la vieille voiture de Lucy, dans l'Amérique finement brocardée des années George W. Bush, le couple improbable entame un drôle de voyage, parsemé d'embûches et de révélations. Reviennent en mémoire Huckleberry Finn et Jim sur leur radeau avec dans Chapardeuse cette même allégorie de la liberté par la fuite. Pour Lucy, narratrice en quête de soi, il s'agit aussi d'un voyage intérieur au cours duquel elle prend conscience du peu de choses qu'elle sait des gens qu'elle croyait connaître et des contours fluctuants de tout jugement moral. Pour Ian qui guide et décide de la forme à donner à leur parenthèse enchantée, c'est l'occasion de devenir le héros de sa propre histoire. Une référence parmi tant d'autres à la littérature jeunesse. Car Chapardeuse propose aussi une réjouissante balade dans le monde des livres dont on sent Rebecca Makkai tout autant amoureuse que ses protagonistes. Le roman fourmille de pastiches, d'allusions et de clins d'oeil à de grands classiques qui viennent faire corps avec le texte.
Une très jolie célébration du pouvoir de la littérature face aux forces obscures de l'ignorance, de l'étroitesse d'esprit et de l'intolérance.

Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 05/09/2012)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012






mercredi 18 juillet 2012

Dark kiss


Sarwat Chadda
Dark kiss
Traduit de l'anglais par Laure Manceau
Pocket Jeunesse
Collection 13 ans et +
Format 140x 225 mm
17,15 euros
320 pages
EAN 9782266187282


Billie en terre slave

Dans Devil's Kiss, premier volume de la trilogie de Sarwat Chadda, l'héroïne, Billie SanGreal, quinze ans, chevalier de l'ordre des Templiers dirigé par son père Arthur, venait à bout de l'Ange de la mort en personne mais sacrifiait pour y parvenir Kay, le garçon qu'elle aimait. Cet acte nécessaire dans la guerre implacable menée par les membres de l'ordre contre les forces du Mal entérinait un choix définitif. Après de nombreuses hésitations sur l'utilité de cette « Bataille ténébreuse », la jeune fille acceptait donc malgré un immense chagrin que son devoir de chevalier l'emporte sur toute autre considération. Dans Dark Kiss, le second opus, nous retrouvons Billie quelques mois plus tard, toujours très éprouvée par la mort de Kay dont le souvenir la hante mais plongée dès l'incipit dans un nouveau combat sanglant à mener contre les damnés. Lorsqu'elle sauve la petite Vasilisa des griffes de deux loups-garous qui viennent d'assassiner ses parents, Billie ne se doute pas que face à elle se trouve une fillette dotée de pouvoirs fabuleux dont celui de contrôler la nature. La protection que lui offrent les Templiers rapidement convaincus d'avoir découvert leur prochain oracle se révèle insuffisante face à la volonté d'une ennemie surpuissante qui veut enlever « l'Enfant Promesse » pour s'emparer de son esprit et déclencher « l'Hiver glacial », un cataclysme qui anéantira l'humanité. L'ennemie se nomme Baba Yaga et règne sur les Polenitsy, une meute dévouée de loups-garous exclusivement femelles qui descendent des Amazones. Il en faut toutefois plus pour impressionner nos valeureux Templiers ! Suite à l'enlèvement de Vasilisa, tous se rendent en Russie pour retrouver l'enfant et éviter la catastrophe annoncée. Ils y retrouvent les Bogatyrs, censés les aider dans leurs recherches. Parmi eux, le jeune prince Ivan Romanov, aussi séduisant que courageux qui se révèle rapidement un soutien de taille pour Billie dans cette nouvelle aventure palpitante où la frontière entre Bien et Mal demeure fluctuante.
Alors que Devil's Kiss fourmillait de références religieuses, Dark Kiss tient davantage du conte gothique, Sarwat Chadda y revisite avec brio mythes et légendes slaves auxquels il ajoute sa touche fantasy. Vu la qualité des deux premiers romans et les indices parsemés pour nous tenir en haleine quant à la fin de l'histoire, on se demande ce que le romancier britannique nous réserve pour le dernier volume. Une apothéose, sans doute !

Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 18/07/2012)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012



Jennifer Strange, dresseuse de quarkons


Jasper Fforde
Jennifer Strange, dresseuse de quarkons
Traduit de l'anglais par Michel Pagel
Fleuve Noir
Collection Territoires
Série Jeunesse
312 pages
Format 140x225mm
EAN 9782265093072
16, 50 euros


Arts mystiques en danger

Retour à Hereford, au sein des Royaumes Désunis pour le second volume des aventures de Jennifer Strange, cette jeune orpheline qui, en l'absence du Grand Zambini, gère Kazam, la plus importante maison d'enchantements du monde. Après s'être noblement acquittée de sa tâche de dernière tueuse de dragons, Jennifer doit relever un autre défi lancé par le mage Blix qui dirige iMagie, la maison d'enchantements concurrente et s'est préalablement assuré les faveurs du roi Snodd. Il s'agit d'un concours dans lequel vont s'affronter les magiciens des deux maisons qui devront rebâtir le pont de Hereford depuis longtemps effondré. Le vainqueur de la compétition prendra le contrôle de l'entreprise adverse. La chose semble a priori assez facile pour Jennifer et sa bande de magiciens hors pair. Malheureusement, Blix est un personnage guère recommandable, cupide et prêt à toutes les forfaitures pour arriver à des fins bien peu glorieuses. Dans cette bataille, c'est l'avenir de la magie qui est en cause, rien de moins ! Les alliés de Jennifer disparaissent un à un, pétrification ou emprisonnement arbitraire. Viennent s'ajouter aux soucis de la jeune fille un anneau maléfique qui ne voulait pas être retrouvé et l'apparition en ville d'un quarkon qu'elle souhaite protéger mais que ses ennemis veulent capturer pour de vilaines raisons.
Les esprits grognons pourraient avancer que Jasper Fforde écrit maintenant selon un mécanisme bien rodé sans prendre de gros risques. Certes, mais son imagination délirante lui permet de gommer facilement la critique car si les ingrédients de base restent les mêmes, l'irrésistible Britannique parvient toujours à étonner et à faire rire. Ce qui, de son propre aveu, constitue l'essence de son métier !

Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 18/07/2012)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012



samedi 23 juin 2012

Pourquoi pas ?



Pourquoi pas ?
David Nicholls
Traduit par Michèle Lévy-Bram
Editions Belfond Littérature étrangère
22 € - 480 p.
ISBN : 978-2-7144-5124



De grandes espérances

« … j'ai l'impression que la vraie vie va commencer, qu'absolument tout est possible .» Nous sommes en 1985, en plein cœur des années Thatcher. Laissant derrière lui sa ville natale de Southend, une mère veuve quelque peu encombrante et deux amis issus du même milieu modeste que lui, Brian Jackson, dix-huit ans, le narrateur de Pourquoi pas ? fait son entrée à l'université grâce à la bourse qu'il a obtenue.
Une entrée qu'il souhaite fracassante ! Malheureusement pour lui, il ne possède pas les atouts habituels qui peuvent laisser envisager une popularité immédiate. Acnéique au possible et terriblement maladroit, Brian a franchement tout du loser. Ses blagues et tentatives de séduction laissent bien sûr de marbre beaucoup de ses nouveaux congénères upper class.
C'est donc sur son énorme culture générale qu'il va devoir miser pour inverser la tendance. Culture acquise aux côtés de feu son père, fan de l'émission University Challenge qu'ils regardaient ensemble, fascinés par l'aisance avec laquelle « d'étranges créatures omniscientes … pouvaient répondre aux questions les plus incongrues »

Sélectionné in extremis dans l'équipe de l'université, Brian y voit aussi l'opportunité de fréquenter de plus près la somptueuse, troublante et riche Alice dont il est tombé éperdument amoureux.

Une histoire d'amour sur fond de lutte des classes. Cela ne ressemblerait-il pas à Un jour, formidable comédie sociale au succès international phénoménal (Belfond 2011, 10/18, 2012) du même David Nicholls ? Pas vraiment car dans Pourquoi pas ? (premier roman du Britannique dans l'ordre chronologique alors qu'Un jour est le troisième) elle n'y constitue pas l'intrigue mais vient s'ajouter aux multiples expériences malheureuses de Brian.

Pour ce portrait d'un jeune homme à la recherche de lui-même, David Nicholls a puisé dans ses propres souvenirs d'étudiant et le résultat sonne particulièrement juste. On sent beaucoup de tendresse chez le romancier pour les maladresses de Brian et les erreurs d'appréciation hilarantes qu'il ne cesse de commettre car elles font nécessairement partie de sa mutation vers l'âge adulte.

Les nombreux personnages secondaires lui donnent par ailleurs la possibilité de dépeindre subtilement et parfois férocement la société anglaise de l'époque et les tensions qui l'animaient. Là encore, l'humour de David Nicholls est dévastateur pour les zygomatiques. Quant aux foisonnantes références à la culture pop des années quatre-vingt, elles constituent un vrai régal pour les amateurs !

Un délicieux roman anti-grisaille que l'on referme enchanté d'avoir passé un aussi bon moment.

Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 22/06/2012)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012

































mardi 19 juin 2012

Entretien avec Bruce Machart



Paru en début d'année aux éditions Gallmeister, Le Sillage de l'oubli de Bruce Machart a été accueilli par une presse enthousiaste qui a salué un événement littéraire majeur. L'une de nos collaboratrices a pu rencontrer le romancier américain venu en France au mois de mai rencontrer ses lecteurs dans plusieurs librairies de l'Hexagone et participer au festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo.






Parutions.com : Vous avez choisi de situer l'action de votre premier roman sur une période qui s'étale de 1895 à 1924 dans un comté rural du Texas où s'enracine votre histoire familiale. Vous-même n'avez pas grandi à la campagne mais à Houston et pourtant à vous lire on a l'impression du contraire . Comment êtes-vous parvenu à décrire de façon aussi forte et convaincante une vie rurale dont vous n'avez pas l'expérience ? Cela a-t-il exigé de nombreuses recherches ?

Bruce Machart : En fait, j'ai passé beaucoup de temps à la campagne pendant les vacances ou à l'occasion de réunions de famille, j'avais donc cette expérience sensorielle ce qui est sûrement le plus important. J'ai aussi eu la chance de pouvoir travailler avec une toute petite bibliothèque où j'ai découvert des ressources fabuleuses. Il y avait dans les années où se déroule mon roman quatre ou cinq journaux dans le comté. Je m'y suis plongé et y ai trouvé des renseignements concrets très utiles tels que le prix du pain ou le nom des magasins par exemple. Et puis ils m'ont permis d'intégrer véritablement la langue parlée à l'époque.

Parutions.com : Le roman raconte l'histoire de Karel, quatrième et dernier fils de Vaclav Skala, un fermier d'origine tchèque. La mère de Karel, Klara meurt en lui donnant la vie. Cette mort anéantit Vaclav qui s'enferme dans sa douleur et adopte envers ses fils un comportement brutal. L'idée vient d'une histoire vraie que votre père vous a racontée lorsque vous étiez jeune mais que vous n'avez pas crue. Pour quelle raison ?

Bruce Machart : Cette histoire de garçons que leur père oblige à tirer une charrue à la place de chevaux ou de mulets me semblait d'une cruauté incroyable et d'une brutalité quasiment médiévale. La pauvreté ne peut constituer une explication à ce genre de comportement, il s'agit là de pure méchanceté, une méchanceté qui se répète quotidiennement de la part d'un père envers ses fils et cela je ne pouvais y croire. C'est par contre un grand défi pour un écrivain de rendre crédible une telle histoire. Je voulais que mes lecteurs parviennent à y croire et moi aussi par la même occasion !

Parutions.com : Le roman conduit Karel de la naissance à l'âge adulte selon une construction particulière qui va et vient entre trois séquences temporelles, février 1895 (la naissance de Karel), mars 1910 (où il perd une course de chevaux capitale) et décembre 1924 (lorsque Sophie, son épouse, donne naissance à leur troisième enfant mais leur premier fils). Cette structure non linéaire fait magnifiquement écho à l'un des thèmes principaux du roman, la rencontre du passé et du présent, cette idée qu'arriver à accepter le poids de la culpabilité signifie se pardonner à soi mais aussi pardonner aux autres. Avez-vous envisagé une autre structure ou bien était-ce votre choix de départ ?

Bruce Machart : En fait, j'ai commencé par écrire des passages qui se déroulaient en 1910 et puis soudain je me suis projeté plus avant dans le temps car j'avais besoin d'imaginer Karel adulte pour mieux comprendre ce qu'il lui était arrivé lorsqu'il était plus jeune et puis ensuite j'ai travaillé les deux chapitres sur la naissance de Karel que j'ai décidé de placer au début et à la fin du roman. Ce passage constant d'une période à une autre répondait à mon besoin de comprendre mon personnage, c'était donc purement pragmatique de ma part mais plus j'ai avancé dans l'ébauche, plus je me suis rendu compte que c'était en fait, chose merveilleuse, mon subconscient qui me guidait depuis le départ . Car en effet, lorsqu'il m'est apparu que ces notions de réconciliation, de confluence entre passé et présent, de culpabilité et de pardon constituaient véritablement la base du roman, il m'a semblé évident de conserver cette structure. J'ai aussi commencé à manipuler intentionnellement les temps, ce qui se rapporte à 1910 est écrit au présent alors que pour 1924, j'ai choisi le passé, l'inverse bien sûr de ce à quoi on pourrait s'attendre !

Parutions.com : Au milieu du roman se niche un chapitre profondément émouvant qui se déroule lui en mai 1898. Vous l'avez par définition placé dans une position centrale. Quelle signification lui accordez-vous ?

Bruce Machart : J'avais cette partie en tête dès le départ mais je ne savais pas si j'arriverais à l'insérer dans le livre. Choisir ce que l'on laisse de côté, c'est aussi le travail de l'écrivain. Arrivé aux deux tiers du roman, je me suis dit que le lecteur aimerait sans doute comprendre davantage le personnage de Vaclav, pourquoi il se montre aussi cruel, pourquoi il ne parvient pas à partager son chagrin avec ses enfants et ne peut se montrer que violent envers eux. Il est vrai qu'il vient d'une culture où les hommes ne partagent pas leurs émotions qu'ils se doivent de cacher et de garder enfouies en eux. J'ai alors décidé d'écrire cette scène pas facile car chargée d'émotion. Il se trouve que c'est le chapitre préféré de ma mère et de ma fiancée entre autres, j'ai donc bien fait de l'écrire !

Parutions.com : C'est en effet l'un des rares moments où le lecteur peut percevoir l'humanité de Vaclav. Quelque chose frappe d'ailleurs chez beaucoup de vos personnages masculins. Malgré la brutalité et la dureté dont il font preuve, il reste toujours en eux une petite étincelle d'humanité. Imaginer un personnage totalement mauvais vous semble-t-il inconcevable ?

Bruce Machart : Concernant l'humanité de Vaclav, je regrette que beaucoup de lecteurs américains ne la perçoivent pas et le jugent donc très mal. Même si je reconnais ses défauts, c'est un personnage que j'aime autant que les autres. Il est brisé, son cœur est brisé. Des exemples de personnages entièrement mauvais, il en existe dans la littérature mais pour moi il est inconcevable d'en imaginer un car je suis d'abord profondément réaliste même si mon réalisme est par ailleurs teinté d'un certain romantisme. Je ne crois pas au mal absolu chez quelqu'un, je n'ai jamais rencontré de démon comme je n'ai jamais rencontré d'ange. Certains êtres humains tendent simplement davantage vers le bien et d'autres vers le mal. Seul un esprit malade pourrait produire ce mal absolu.

Parutions.com : Dans l'univers violent et conflictuel que vous décrivez, comment définissez-vous le rôle de vos personnages féminins ?

Bruce Machart : Il est capital. Même si le protagoniste est sans conteste Karel, c'est l'absence du personnage féminin principal qui est le moteur du roman.. Je voulais montrer des personnages féminins relativement complexes et de différentes sortes. Je trouve que chez les romanciers américains , les personnages féminins sont souvent trop simples et ne reflètent pas assez l'intelligence des femmes, leur force tranquille et leur pouvoir de réconfort. Il y a dans le roman cette réplique de l'un des jumeaux qui dit que les femmes ne sont jamais assez payées pour ce qu'on leur prend. En lisant ces lignes, l'un de mes amis m'a téléphoné pour me demander quand j'étais devenu féministe !

Parutions.com : Sophie aide Karel à surmonter ses démons et accepte beaucoup de choses de sa part. Ne peut-on pas la considérer comme un personnage entièrement bon ?

Bruce Machart : Elles est en effet adorable et fondamentalement bonne mais de là à considérer qu'elle l'est entièrement et qu'elle n'a pas de défauts, je ne sais pas. Il y a aussi chez elle de l'impatience, de la colère et Karel en fait parfois les frais lorsqu'il lui ment sur son infidélité par exemple. Remarquez on ne peut pas la blâmer sur ce point ! Sophie est une belle personne qui me rappelle certaines femmes merveilleuses de ma famille. Le monde aurait sans conteste besoin de plus de Sophies !

Parutions.com : La Nature est omniprésente dans le roman, êtes-vous d'accord sur le fait qu'elle est bien plus qu'un simple décor ?

Bruce Machart : Bien sûr. Eudora Welty qui fait partie de mes écrivains préférés a écrit un très bel essai sur le rôle du lieu dans la fiction et le sentiment d'appartenance qui lui est lié. Elle y explique que personnages et lieux ne peuvent pas être dissociés. Je pense moi aussi que l'endroit d'où nous venons influence notre vision du monde et j'aime beaucoup l'idée que nous le portons en nous, même lorsque nous sommes ailleurs.

Parutions.com : Les éditions Gallmeister qui vous publient en France se consacrent exclusivement à la littérature américaine. Le Sillage de l'oubli fait partie d'une collection intitulée Nature Writing. Quelle est votre définition du terme et pensez-vous que votre roman lui corresponde ?

Bruce Machart : Le fait d' appeler cette collection Nature writing permettait, je pense, à M. Gallmeister de créer une sorte de marque. Le terme n'a pas en France la signification bien définie qu'il possède aux Etats-Unis où il désigne principalement des ouvrages que nous classons sous le vocable de non fiction. Le début de ce courant remonte à Thoreau et son célèbre Walden, il s'agit donc souvent d'essais qui relatent des expériences personnelles d'une vie au contact de la nature. Le récit autobiographique de Pete Fromm paru également dans cette collection Nature Writing correspond bien à la définition américaine. Mais la vision de M. Gallmeister est plus large, il cherche aussi des histoires qui parlent de grands espaces, du sentiment d'appartenance, de l'importance du monde sensoriel et franchement je trouve que mon roman entre très bien dans sa vision tout comme d'ailleurs le prochain et plusieurs de mes nouvelles.

Parutions.com : De nombreux critiques vous ont comparé à William Faulkner. Vous sentez-vous proche de ses thèmes et de son écriture ?

Bruce Machart : De ses thèmes, oui. Les très grands romans de Faulkner traitent de problèmes universels. Tandis que j'agonise par exemple est une histoire biblique qui raconte une quête mais le véritable sujet en est la subjectivité de la vérité. J'ai très certainement aussi été influencé par ses phrases. Par contre pour ce qui est de la structure, il en va autrement. Faulkner est un écrivain moderniste qui aime obscurcir afin de renforcer son propos, je suis beaucoup plus réaliste.

Parutions.com : Le bestiaire de Faulkner est très riche, le vôtre également. Dans les deux cas, les chevaux ont une importance primordiale. Que représentent-ils dans votre roman ?

Bruce Machart : Bien plus que des bêtes de somme. Nous ne pensons pas aux chevaux comme nous pouvons penser aux cochons ou aux vaches, ils provoquent chez l'homme une empathie particulière. Et puis, il y a cette tradition dans la littérature rurale américaine qu'elle vienne du sud comme chez Faulner en effet ou bien de l'ouest. Les chevaux y sont des symboles archétypaux, ils représentent la persévérance, la force, l'intelligence et la beauté. Une sorte de perfection que le cheval soit d'ailleurs un mâle ou une femelle. On peut d'ailleurs aussi les voir comme une merveilleuse incarnation de la masculinité et de la féminité réunies.

Parutions.com : Le souffle lyrique qui se dégage de votre roman ne faiblit jamais. Y a-t-il tout de même des scènes pour lesquelles garder cette intensité vous a posé davantage problème ?

Bruce Machart : Beaucoup ! Parmi les plus difficiles à écrire, je dirais la scène d'amour entre Karel et Graciela. C'est très compliqué d'écrire une scène d'amour intense sans tomber dans le mélodrame d'un goût douteux. J'avais aussi en tête cette distinction attribuée chaque année par le quotidien britannique The Guardian pour la scène d'amour physique la plus mal écrite de l'année et je n'avais pas du tout envie de figurer au palmarès ! L'amour nous rend vulnérables et écrire sur l'amour me procure ce même sentiment de vulnérabilité. Les scènes de courses de chevaux n'ont pas non plus plus été faciles en raison du rythme lent que je souhaitais leur donner. Une course est par définition rapide or je voulais au contraire les faire durer, en détailler tous les instants pour que le lecteur puisse les savourer.

Parutions.com : Lorsque vous écrivez, vous imposez-vous un rythme ou bien travaillez-vous au gré de votre inspiration ?

Bruce Machart : J'ai besoin de savoir que je vais pouvoir travailler plusieurs jours d'affilée selon un rythme régulier sinon je ne m'y mets pas. Je me lève à cinq heures du matin et je travaille en général trois heures avant que le soleil ne se lève. Pour moi l'écriture s'apparente à un rêve éveillé, je passe donc naturellement d'un rêve endormi à un rêve éveillé. Quand à huit heures, je suis satisfait de ce que j'ai fait, je sais que je vais passer une bonne journée !

Parutions.com : Lors de sa sortie aux Etats-Unis en 2010, Le Sillage de l'oubli a reçu un accueil critique particulièrement élogieux. L'avez-vous ressenti comme stimulant ou intimidant ?

Bruce Machart : Les deux. J'ai commencé à écrire au début des années quatre-vingt- dix et tout à coup arrivait la récompense d'une vingtaine d'années de travail. Au départ j'avais donc l'impression d'obtenir ce dont j'avais toujours rêvé et j'étais très heureux. Je pensais que j'avais écrit un bon livre mais de nombreux livres de qualité passent totalement inaperçus, j'étais donc aussi conscient de la chance que j'avais. Ensuite j'ai fait une grosse tournée de promotion, dix-sept villes au total et paradoxalement malgré les belles critiques, je n'étais pas forcément toujours confiant. Je me souviens m'être terriblement inquiété par exemple avant une étape dans une ville où aucun journaliste n'avait chroniqué mon roman. Pendant des mois, j'ai donc été absorbé par la carrière de mon livre et il m'a fallu du temps pour me dire, voilà, c'est bon, il est temps de penser au prochain !

Parutions.com : Votre second livre Men in the Making (à paraître chez Gallmeister en 2014) est un recueil de nouvelles que vous avez d'ailleurs écrites avant Le Sillage de l'oubli à l'exception de l'une d'entre elles. Est-il aussi difficile d'écrire une excellente nouvelle que d 'écrire un excellent roman ?

Bruce Machart : Oui même si l'exercice est évidemment très différent. Ecrire une belle nouvelle, c'est comme écrire un beau poème, il n'y a aucune place pour le superflu, chaque mot compte et doit révéler quelque chose sur un personnage ou faire avancer l'action, le défi se situe donc là. Dans le cas d'un roman, le défi est complètement différent. En ce qui me concerne, je commence une histoire et je ne sais pas du tout comment elle va évoluer et s'achever, je ne suis même pas conscient de son véritable sujet. Il me faut beaucoup de temps pour le découvrir alors qu'avec une nouvelle, le délai est beaucoup plus court. Cela implique donc une bonne dose d'incertitude et nécessite une foi certaine.

Parutions.com : À ce propos, vous travaillez actuellement sur un second roman. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Bruce Machart : Cela n'est pas facile car j'en suis pour l'instant à l'étape dont je viens de parler, c'est-à-dire que je ne sais pas du tout à quoi ce roman va ressembler !
Mais il va parler de la vérité subjective. Je pars d'un fait divers que j'ai lu dans un mensuel texan et qui possède un potentiel dramatique digne d'une tragédie grecque. C'est l'histoire d'un jeune garçon de dix-huit ans, un peu à la dérive qui tue accidentellement sa ravissante et populaire sœur cadette. Dans Le Sillage de l'oubli c'est un bébé qui porte la responsabilité de la mort de sa mère, nous avons là une situation différente, votre enfant est responsable par négligence de la mort de votre autre enfant. Comment des parents peuvent-ils réagir à cela ? J'imagine donc ce couple des années après le drame, le père repense à sa vie et se plonge dans ses souvenirs et puis dans le même temps il se rend compte que sa femme est en train de perdre la mémoire, il entreprend alors de lui raconter la vie qu'ils ont eue. Des histoires à la troisième personne parce qu'il pense ainsi tester sa mémoire et il se trouve que parfois elle se souvient de choses qu'il a oubliées. La manière dont fonctionne la mémoire est un thème fascinant, mon roman va aussi parler de cela.

Parutions.com : Vous êtes également professeur d'université, chargé de cours de creative writing et de littérature américaine contemporaine. Si vous aviez la possibilité d'enseigner un courant dans la littérature européenne, que choisiriez-vous ?

Je choisirais la poésie romantique même si cela peut à première vue sembler loin de ce que je fais. J'adore les poètes romantiques et victoriens, Keats, Wordsworth, Browning et je crois vraiment qu'ils m'influencent dans ma façon d'écrire. Cela me permettrait de me replonger dans une époque qui me passionne.

Parutions.com : Une dernière question que vous avez dit souhaiter que l'on vous pose et à laquelle vous n'avez pas encore répondu. Comment se fait-il que vous soyez devenu aussi beau et aussi intelligent ?

Bruce Machart (éclats de rire) : C'est très gentil, merci !

NRDL :Merci à Marie-Anne Lacoma des éditions Gallmeister et à Bruce Machart bien sûr pour sa grande disponibilité.

Entretien mené en anglais le 25 mai 2012 et traduit par Florence Bee-Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 11/06.2012)