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samedi 29 octobre 2011

Muse











Joseph O'Connor

Muse

Editions Phébus

Collection : Libretto

Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau
288 p.
19 €
ISBN : 9782752904607


La baladine


Londres, 27 octobre 1952. Alors qu'une tempête a frappé la ville toute la nuit, une vieille dame lutte contre le froid et la faim qui la tenaille dans un garni misérable. Triste destin que celui de Molly Allgood, comédienne autrefois célèbre que ses voisins actuels considèrent comme une indigente alcoolique. Des vapeurs de mauvais gin émerge l'image d'un homme que Molly a passionnément aimé bien des années plus tôt « Cela arrive à tout le monde : l'irruption d'une personne que nous croyions oubliée ou avions délibérément reniée .»

Cette personne n'a rien d'un anonyme puisqu'il s'agit de John Millington Synge. Molly et lui ont entretenu une relation tumultueuse au cours des deux années qui ont précédé la mort du dramaturge irlandais en 1909. Une liaison souvent clandestine pour échapper à la méchanceté et l'hypocrisie ambiantes « L'indigène de Johnny Synge. La servante du fils de famille protestante. La putain du play-boy de Kingstown. Toutes ces injures lancées par les beaux esprits de l'intelligentsia dublinoise résonnent encore à tes oreilles au bout de quarante ans. »

L'âge, le milieu social et la religion, tout alors sépare les deux amants. Synge, cofondateur du théâtre de l'Abbaye avec WB Yeats et Lady Gregory vient d'une riche famille protestante, il approche de la quarantaine. Molly, catholique, d'extraction modeste souhaite briller sous les feux de la rampe, elle n'a que dix-huit ans.

Malgré l'amour qu'il porte à celle qu'il nomme son « enchanteresse » et ses jours qu'il sait comptés car il se sent condamné par la maladie, Synge ne parviendra à s'affranchir ni des convenances qu'il a intégrées ni d'une tyrannie maternelle qu'il subit mais accepte tout autant.

Contrairement à ce que ce point de départ semble impliquer, Muse n'a rien d'une biographie un peu romancée. Joseph O'Connor en avertit d'ailleurs le lecteur « Muse est une œuvre de fiction qui prend souvent d'immenses libertés avec la réalité. Les expériences et la personnalité des vrais Molly et Synge diffèrent de celles de mes personnages d'innombrables manières. Les chercheurs ne doivent pas se baser sur la chronologie, la géographie ni les portraits qui apparaissent dans ce roman. »

Ces « immenses libertés » donnent naissance à un roman lyrique, puissant et dense dont la forme particulière renforce la complexité.


En grande partie écrit à la deuxième personne du singulier, Muse fonctionne comme la mémoire. Il n'y a pas de chronologie dans les souvenirs qui affluent dans l'esprit de l'héroïne. Ce sont des associations d'idées, des images, des morceaux de poèmes ou de chansons, des fragments dispersés qu'il appartient au lecteur de relier afin de retracer l'histoire de Molly et d'enrichir son portrait de nuances subtiles. Synge, le théâtre, l'Irlande, l'épopée américaine marquée par le succès puis la chute, sa sœur qui est devenue une star à Hollywood, les bonheurs et les humiliations, ses mariages et ses enfants ...


Au fil des heures de cette journée particulière d'octobre 1952, parallèlement au monologue intérieur de Molly, le lecteur suit l'errance de la vieille dame dans les rues londoniennes encore marquées par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les différents lieux où elle s'arrête en quête d'un peu de chaleur humaine, les gens qu'elle rencontre puis son arrivée dans les studios de la BBC où elle doit tenir un petit rôle mal payé dans une pièce radiophonique.

La structure rappelle l'Ulysse de James Joyce pour lequel Joseph O'Connor avoue une immense admiration mais l'hommage est plus vaste tant Muse bruisse de références à la culture irlandaise. Sans cependant s'y enfermer ce qui donne au roman une dimension supplémentaire.


Une lecture exigeante d'où jaillissent de purs instants de grâce.


Florence Cottin-Bee

(Mis en ligne sur parutions.com le 02/11/2011)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011




lundi 10 octobre 2011

La vieille dame du riad



La vieille dame du riad
de Fouad Laroui
Julliard 2011 / 18 €- 117.9 ffr. / 248 pages
ISBN : 978-2-260-01959-6
FORMAT : 13,4cm x 20,6cm



Une année chez les Marocains


Après le délicieux Une année chez les Français paru l'an dernier dans lequel Fouad Laroui analysait subtilement les rapports compliqués qui unissent le Maroc à la France grâce à un portrait d'enfance particulièrement réussi, le romancier poursuit sa réflexion avec La vieille dame du riad.
Tenaillé depuis plusieurs années par une « furieuse envie d'aller voir ailleurs » , François propose à sa femme Cécile d'aller s'installer à Marrakech et d'y acheter un riad. Le couple de bobos parisiens règle donc les affaires courantes, s'envole pour le Maroc et acquiert rapidement le seul riad pour lequel ils ont eu un coup de foudre. Malheureusement pour eux, une intruse les a précédés. Cachée dans une petite chambre et murée dans un silence déconcertant « une très vieille femme, à la peau noire, tellement noire qu'elle semblait émettre des reflets bleutés. » ne semble pas disposée à quitter les lieux. Pour essayer de comprendre cette squatteuse mutique François et Cécile font appel à leur voisin Mansour, un jeune professeur. Chose surprenante, alors que la vieille dame ne parle pas, ce dernier entend une phrase étrange « ces chrétiens sont venus me ramener mon fils Tayeb » S'ensuivent des confessions tout aussi fantomatiques que Mansour retranscrit dans un manuscrit « Histoire de Tayeb »qu'il offre bientôt aux deux Français.

Cette histoire constitue l'excellente seconde partie du roman qui en compte trois. On y apprécie le souffle, l'émotion et la profondeur qui manquent cruellement aux deux autres. Derrière le destin emblématique de Tayeb c'est la destinée marocaine sur une grosse partie du vingtième siècle que Fouad Laroui raconte de façon passionnante. S'il dénonce le hold-up que représente le colonialisme, il ne tombe ni dans l'outrance ni dans la haine ce qui rend son propos clair et percutant.

Pour le reste, quelle déception ! Le romancier enchaîne les jeux de mots pas vraiment drôles, se complaît dans un name-dropping rapidement exaspérant et présente un couple de protagonistes inintéressants dont l'aventure ne passionne guère tant elle est facilement prévisible.

Porte-paroles de Fouad Laroui dans son combat pour la tolérance et sa volonté de lutter contre les préjugés, les personnages qu'il imagine se révèlent généralement complexes, touchants et attachants même s'ils sont à première vue insupportables à l'image de La femme la plus riche du Yorkshire, (Julliard, 2008) Tel n'est pas le cas dans La vieille dame du riad ce qui explique en grande partie la qualité moindre de ce dernier opus.

Florence Bee-Cottin
(Mis en ligne le 10/10/2011)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011