Pages

vendredi 2 septembre 2011

Mr Peanut


Mr Peanut
Adam Ross
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Baptiste Dupin
Editeur : 10/18 Collection Inédit Grand Format
ISBN : 2264052147


L'ombre d'un doute

« Entre le désir profond de se lier, de s'engager corps et âme, et le désir tout aussi profond de préserver sa liberté, d'échapper à tout lien, quel tohu-bohu ! Or, pour vivre ces exigences contradictoires et d'égale dignité sans être écartelé, il n'y a aucun secours à attendre ni de la philosophie, ni de la morale, ni d'aucun savoir constitué. Il est probable que les seuls modèles adaptés pour nous permettre d'avancer sont la haute-voltige et l'art du funambule. Un mariage ne se contracte pas. Il se danse. A nos risques et périls. »
Cet extrait de « Eloge du mariage, de l'engagement et autres folies ! » de Christiane Singer (Albin Michel, 2000) exprime parfaitement la tension qu'explore le romancier américain, Adam Ross dans un premier roman époustouflant.

David Pepin « président et designer en chef de Spellbound, une petite boîte de jeux vidéo extrêmement prospère » et Alice, enseignante, sont mariés depuis treize ans. Un mariage rythmé par les tentatives de la jeune femme pour vaincre ses tendances dépressives et son obésité morbide. De son côté, David se laisse aller à des rêveries inavouables qui mettent en scène la mort de sa femme. Jusqu'au jour où le fantasme devient réalité. Alice meurt d'un choc anaphylactique, ayant ingéré des cacahuètes, aliment auquel elle se sait allergique. Suicide ou meurtre habile ?

Deux inspecteurs new-yorkais, Ward Hastroll et Sam Sheppard, sont chargés de démêler un écheveau compliqué à souhait. David clame son innocence, cependant les apparences ne plaident pas vraiment en sa faveur.
Selon Sam Sheppard, « le métier d'inspecteur devrait être réservé aux hommes mariés ...Ils connaissaient des régions du cœur inconnues aux célibataires. Ils pouvaient imaginer suivre leur femme à son insu – et en fait pouvaient même imaginer les choses les plus terribles. »
Et question dysfonctionnement marital, nos deux inspecteurs en connaissent effectivement un rayon !
Hannah, la femme de Ward, a décidé depuis plusieurs mois de rester au lit laissant son mari impuissant face à une incarcération domestique qu'il ne parvient pas à s'expliquer et dont Hannah refuse obstinément de lui donner la clé.
Dans le cas de Sam, son mariage chaotique s'est achevé dans un bain de sang avec l'assassinat sordide de Marilyn alors enceinte de leur deuxième enfant. Un acte abominable dont il a été reconnu coupable avant d'être libéré au bout de dix ans pour vice de procédure puis acquitté par la Cour Suprême lors d'un second procès. Il ne s'agit pas ici de fiction pure mais de la réécriture d'un fait-divers qui a défrayé la chronique en 1954 aux Etats-Unis.

Les trois relations conjugales se mêlent en des échos multiples et des effets de miroirs saisissants.
Elles font apparaître le mariage comme une succession de cycles sombres ou lumineux, d'échecs cuisants mais aussi de chances qu'il faut savoir saisir, de blessures et de pardons.
Ces trois histoires s'enchâssent au sein d'une structure narrative dédaléenne qu'Adam Ross agrémente d'une construction en abyme avec le roman que David écrit sur son couple et de multiples références à l'oeuvre d'Alfred Hitchcock qui s'intègrent à l'intrigue (Ward Hastroll est par exemple l'anagramme de Lars Thorwald, le personnage de Fenêtre sur cour suspecté d'avoir tué sa femme.)

Sans doute inspirés par la technique hitchcockienne du MacGuffin, de nombreux chausse-trappes attendent le lecteur mis en position de détective mais aussi de joueur car Mr Peanut lui offre l'équivalent sous forme romanesque d' Escher X, l'un des jeux imaginés par David.

« Une œuvre brillamment conçue et programmée. Les décors s'inspiraient des célèbres gravures d'Escher … Le but du jeu était de guider votre avatar à travers chacun de ces niveaux labyrinthiques, ces royaumes sans fin, jusqu'à ce que vous trouviez les moyens secrets d'en échapper, le bouton ou la dalle qui déroulerait enfin le grand ruban de Möbius formant les décors. »
Dans le jeu vidéo, Möbius est le puissant personnage qui attend le joueur pour la confrontation finale. Dans le roman, David l'engage pour retrouver (?) Alice et son rôle s'avère tout aussi capital. Le ruban qui porte son nom évoque, lui, une forme infinie, un éternel recommencement. L'histoire se double donc d'une réflexion tout à fait passionnante sur l'écriture et la création littéraire.

Avec ce sensationnel polar métafictionnel, Adam Ross fait sans conteste partie des révélations réjouissantes de cette rentrée littéraire 2011.

Florence Cottin-Bee
Mis en ligne le 02/09/2011 sur parutions.com
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

jeudi 1 septembre 2011

Un Jour, le film


Vous avez adoré le roman de David Nicholls ... Qu'allez-vous penser du film de Lone Scherfig dont il a écrit le scénario?


UN JOUR - Vidéo Bande-Annonce VF HD
www.youtube.com

2 places à gagner pour les quatre premières réponses exactes à la question suivante :

Un Jour est le troisième roman de David Nicholls mais le premier à être traduit en français. Quels sont les titres anglais de ses deux précédents romans ?


Facile, on en a parlé lors de l'entretien!

Pour jouer, laissez un commentaire sur cet article en précisant votre nom, la date et l'heure de votre commentaire puis envoyez la réponse à : florencebee@gmail.com

Merci à la SND!
http://www.facebook.com/snd.films?sk=wall

Une année chez les Français


Une année chez les Français
de Fouad Laroui
Pocket - Jeunesse 2011 / 6 €- 39.3 ffr. / 284 pages
ISBN : 978-2-266-21903-7
FORMAT : 11cm x 17,8cm


Les (més)aventures de Mehdi en territoire inconnu

Rentrée des classes 1969, un minuscule garçonnet se présente au lycée Lyautey de Casablanca.

Il s'agit de Mehdi Khatib, originaire de Béni-Mellal dans les montagnes de l'Atlas, promis à un brillant avenir selon son instituteur qui s'est démené pour lui obtenir une bourse dans ce prestigieux établissement français.

« Qu'est-ce que je fais ici? », se demande Mehdi. Une année chez les Français lui sera nécessaire pour trouver la réponse, comprendre ce monde nouveau qui au départ lui échappe totalement et se défaire du sentiment de n'être qu'un « imposteur ».

Une odyssée fantastique pour le héros comme pour le lecteur …

Autour de Mehdi, Fouad Laroui imagine une galerie de personnages dont les sentiments à l'égard du petit garçon vont de l'hostilité sournoise à l'admiration sincère en passant par la condescendance amusée. Les épisodes cocasses qui se succèdent en disent long sur les rapports pas toujours simples entre Français de souche, généralement convaincus d'appartenir à l'élite intellectuelle de l'humanité et ressortissants de feu leur empire colonial.

Hymne à la tolérance, ce délicieux roman en partie autobiographique rend aussi hommage à la langue française que Mehdi manie avec une dextérité grandissante et aux livres dont il se repaît avec délices.

Un amour des mots que Fouad Laroui, romancier, poète, critique mais aussi professeur de littérature à l 'université d'Amsterdam sait merveilleusement partager.


Florence Cottin-Bee
( Mis en ligne le 31/08/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

Galveston


Galveston
de Nic Pizzolatto
Belfond 2011 / 19 €- 124.45 ffr. / 322 pages
ISBN : 978-2-7144-4700-5
FORMAT : 13,8cm x 22,2cm

Pierre Furlan (Traduction)


On the rocks

«Un médecin a pris une photo de mes poumons. Ils étaient pleins de rafales de neige. Quand je suis sorti du cabinet, les gens dans la salle d'attente ont tous paru soulagés de ne pas être à ma place. Il y a des trucs qu'on peut lire sur les visages». L'uppercut fait vaciller Roy Cady, le narrateur de Galveston, qui pourtant ne se laisse pas abattre : «on ne cesse pas d'être qui on est simplement parce qu'on a dans la poitrine un blizzard qui ressemble à des paillettes de savon».

Quelques heures plus tard, Roy, truand à la petite semaine et tueur à l'occasion, se rend donc chez Stan Ptitko, un mafieux patibulaire et caractériel. Leurs méfiance et antipathie mutuelles ont décuplé depuis que Stan sort avec Carmen, l'ex de Roy. La nouvelle mission que Stan confie à Roy sent d'ailleurs le traquenard vicieux. Premier épisode sanglant et ultra-violent de ce troublant roman noir.

Sorti vivant du piège, Roy n'a d'autre option que de fuir la Nouvelle-Orléans emmenant avec lui, Rocky, une toute jeune prostituée, elle aussi rescapée du carnage, la sœur de cette dernière, Tiffany, âgée de quatre ans, et une assurance-vie sous la forme de documents très compromettants pour Stan. Direction, Galveston, Texas, où le trio trouve refuge dans un motel miteux parmi d'autres cabossés de la vie. Nous sommes alors en 1987.

Bien que Roy ait à plusieurs reprises envie de partir, quelque chose le retient. La fragilité bouleversante de Rocky, le fardeau sordide qu'elle veut taire résonne chez lui comme un écho à ses propres blessures. Et puis, il ne peut abandonner Tiffany, ce petit bonheur d'appétit de vivre.

«IL Y A DES EXPÉRIENCES AUXQUELLES ON NE PEUT SURVIVRE ; après elles, on n'existe plus entièrement, même si on n'a pas réussi à mourir. Tout ce qui s'est passé en mai 1987 ne cessera jamais de s'être produit, sauf qu'on est maintenant vingt ans plus tard et que tout se qui s'est déroulé à ce moment-là n'est qu'une histoire».

Une histoire terrible, une expérience traumatisante dont Roy est sorti brisé au propre comme au figuré mais qui a fait de lui un homme meilleur, transformant l'alcoolique nombriliste en anti-héros magnifique. Vingt ans plus tard, le passé semble le rattraper sous les traits d'un mystérieux personnage en Jaguar. S'agit-il cette fois d'un arrêt de mort implacable ? Passé et présent alternent au fil des chapitres pour s'unir à la fin en une osmose salvatrice. La désespérance qui hante le roman laisse alors place à une lueur d'espoir.

En lisant Galveston, on pense souvent à James Ellroy, David Goodis ou encore Dashiell Hammett ; cependant pour ce premier roman, Nic Pizzolatto, lui aussi américain, trouve sa voix originale. Un cocktail de sauvagerie stylisée, de virilité parfois bestiale mais aussi d'émotion retenue et de tendresse pudique, qui offre des pages d'une beauté tout simplement incandescente.

Florence Bee
( Mis en ligne le 31/08/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011