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jeudi 22 décembre 2011

Le Prince de la brume



Carlos Ruiz Zafon
Le Prince de la brume
Traducteur:François Maspero
Editeur : Pocket Jeunesse Collection 9/12 ans
EAN : 9782266213042
205 pages
18 euros

Le diabolique

« Jamais, malgré le passage des ans, Max n'oublia cet été où, presque par hasard, il découvrit la magie et ses maléfices. C'était en 1943, et les vents de la guerre dévastaient impitoyablement le monde. »

L'action se situe donc au cœur d'années blafardes pour une Angleterre bombardée par l'ennemi. En quête d'une plus grande sécurité, la famille Carver quitte la ville pour s'installer dans un petit village sur les rivages de l'Atlantique. Max, treize ans, ses deux sœurs Alicia quinze ans, Irina huit ans et leur mère se montrent moins enthousiastes que Monsieur Carver lorsqu'ils découvrent la maison que ce dernier a achetée pour eux. L'atmosphère qui s'en dégage semble malsaine à Max déjà alerté par deux éléments assez bizarres qui ont marqué l'arrivée des Carver dans la bourgade. Pourquoi les aiguilles de l'horloge de la gare fonctionnaient-elles à l'envers ? Comment ce gros chat tigré au regard pourtant inquiétant a-t-il réussi à attendrir sa petite sœur qui l'a aussitôt adopté ?
Le jeune garçon s'invente-t-il des histoires ? Pas du tout, car en effet la demeure cache de bien sombres secrets et dans l'ombre une créature maléfique tisse la toile d'un piège épouvantable que Max va essayer de comprendre puis de déjouer.

Le Prince de la brume constitue le premier volet d'une trilogie écrite par Carlos Ruiz Zafon bien avant qu'il ne connaisse le succès retentissant que l'on sait.(les deux volumes suivants Le Palais de minuit et Les lumières de septembre paraîtront en 2012) Le romancier espagnol s'y adressait à un public plus jeune que dans ses romans ultérieurs tout en souhaitant que des adultes, amateurs de friandises gothiques, puissent également se laisser séduire. Pari réussi !
Fort bien construite et joliment écrite, cette aventure adolescente se lit avec grand plaisir de bout en bout. L'angoisse monte au fil des pages car le lecteur quel que soit son âge sait bien qu'il n'est pas très malin d'essayer de duper le Diable !

Florence Cottin-Bee
(mis en ligne sur parutions.com le 21/12/2011)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011 






lundi 12 décembre 2011

La Tyrannie de l'arc-en-ciel


La tyrannie de l'arc-en-ciel.
Volume 1, La route de Haut-Safran
Auteur : Jasper Fforde
Traducteur : Patrick Dusoulier
Genre : Science-fiction, Fantastique
Editeur : Fleuve noir, Paris, France
Prix : 20.90 € / 137.10 F
ISBN : 978-2-265-09095-8
GENCOD : 9782265090958

Haut en couleur

Connu pour son imagination débordante et sa propension réjouissante à mélanger les genres littéraires, Jasper Fforde aime inventer des mondes alternatifs dont les travers et les déviances semblent toutefois étrangement familiers au lecteur. Dans La route de Haut- Safran, premier volume d'une nouvelle trilogie, l'action se situe donc dans un avenir indéterminé cinq siècles après « le Truc-qui-S'est Passé », événement dramatique qui a entraîné la disparition des « Précédents » et de leur société technologiquement très avancée mais rongée par « un déséquilibre matériel et un niveau de vanité parfaitement destructeur. »

Une autre société, régie par « l'idéologie chromatique de Munsell », a vu le jour. La position sociale de chacun y est définie par la couleur qu'il perçoit. Tout en haut de l'échelle, les Pourpres jouissent de privilèges indécents, suivent les Verts, les Bleus, les Jaunes et les Rouges. Chaque couleur possède sa propre hiérarchie déterminée par les résultats obtenus à l' « Ishihara», un test de perception que les résidents passent à l'âge de 21 ans. Nous parlons là des « Chromatiques », donc des privilégiés car tout en bas de l'échelle sont relégués les Gris que leur absence de perception condamne à la condition d'exploités, dépourvus de droits élémentaires.

Le théoricien de la Chromocratie ne s'est pas arrêté en si bon chemin mais a également prévu un recueil de règles qui s'appliquent à tous les domaines de la vie courante. Bien que parfois incompréhensibles pour les citoyens, elles ne peuvent, dictature oblige, être remises en question.
Autre élément particulier à la Chromocratie, l'ignorance y a supplanté le savoir grâce à des « Bonds en arrière successifs » qui ont éliminé toutes les connaissances et les prouesses technologiques dont s'enorgueillissaient les « Précédents ».
La population moutonnière s'accommode pourtant de la situation et s'avère peu encline à mettre le système en cause.
Une attitude docile que l'on retrouve chez Edward Rousseau, le héros du roman guère animé au départ de la moindre fibre révolutionnaire. Ce jeune Rouge souhaite simplement épouser Constance Sang de Bœuf par pur intérêt chromatique et s'assurer ainsi un avenir florissant. Suite à l'une de ses facéties, il est condamné par les autorités à quitter sa ville de Jade-sous-Limon pour aller s'acquitter d'une « Tâche inutile », à savoir recenser les chaises à Carmin-Est « dans l'environnement intolérablement primitif des Franges Extérieures » et ainsi procéder à un « Réalignement d'Humilité »
En chemin, Edward rencontre Jane, une Grise mystérieuse dont le nez retroussé n'est pas le moindre des attraits et tombe immédiatement sous le charme. L'attitude hostile de Jane et les secrets qu'elle cache intriguent le jeune homme qui se laisse peu à peu gagner par une empathie séditieuse. Car ce qu'Edward découvre à Carmin-Est est tout sauf catholique … Dans un monde qui n'est vraiment pas le meilleur, mieux vaut éviter d'être considéré comme un fauteur de troubles.

Jasper Fforde définit lui-même La Tyrannie de l'arc-en-ciel comme un projet plus ambitieux que ses séries précédentes. Son idée de dystopie colorisée n'est en effet pas des plus simples ! Pourtant le lecteur se laisse vite séduire par l'inventivité toujours aussi étonnante du romancier britannique et suit avec gourmandise les aventures délirantes d'Edward et de Jane.

Qui sont loin d'être terminées … on attend donc le second volume avec impatience !

Florence Cottin-Bee
(Mis en ligne sur parutions.com le 12/12/2011)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011 

samedi 29 octobre 2011

Muse











Joseph O'Connor

Muse

Editions Phébus

Collection : Libretto

Traduit de l’anglais (Irlande) par Carine Chichereau
288 p.
19 €
ISBN : 9782752904607


La baladine


Londres, 27 octobre 1952. Alors qu'une tempête a frappé la ville toute la nuit, une vieille dame lutte contre le froid et la faim qui la tenaille dans un garni misérable. Triste destin que celui de Molly Allgood, comédienne autrefois célèbre que ses voisins actuels considèrent comme une indigente alcoolique. Des vapeurs de mauvais gin émerge l'image d'un homme que Molly a passionnément aimé bien des années plus tôt « Cela arrive à tout le monde : l'irruption d'une personne que nous croyions oubliée ou avions délibérément reniée .»

Cette personne n'a rien d'un anonyme puisqu'il s'agit de John Millington Synge. Molly et lui ont entretenu une relation tumultueuse au cours des deux années qui ont précédé la mort du dramaturge irlandais en 1909. Une liaison souvent clandestine pour échapper à la méchanceté et l'hypocrisie ambiantes « L'indigène de Johnny Synge. La servante du fils de famille protestante. La putain du play-boy de Kingstown. Toutes ces injures lancées par les beaux esprits de l'intelligentsia dublinoise résonnent encore à tes oreilles au bout de quarante ans. »

L'âge, le milieu social et la religion, tout alors sépare les deux amants. Synge, cofondateur du théâtre de l'Abbaye avec WB Yeats et Lady Gregory vient d'une riche famille protestante, il approche de la quarantaine. Molly, catholique, d'extraction modeste souhaite briller sous les feux de la rampe, elle n'a que dix-huit ans.

Malgré l'amour qu'il porte à celle qu'il nomme son « enchanteresse » et ses jours qu'il sait comptés car il se sent condamné par la maladie, Synge ne parviendra à s'affranchir ni des convenances qu'il a intégrées ni d'une tyrannie maternelle qu'il subit mais accepte tout autant.

Contrairement à ce que ce point de départ semble impliquer, Muse n'a rien d'une biographie un peu romancée. Joseph O'Connor en avertit d'ailleurs le lecteur « Muse est une œuvre de fiction qui prend souvent d'immenses libertés avec la réalité. Les expériences et la personnalité des vrais Molly et Synge diffèrent de celles de mes personnages d'innombrables manières. Les chercheurs ne doivent pas se baser sur la chronologie, la géographie ni les portraits qui apparaissent dans ce roman. »

Ces « immenses libertés » donnent naissance à un roman lyrique, puissant et dense dont la forme particulière renforce la complexité.


En grande partie écrit à la deuxième personne du singulier, Muse fonctionne comme la mémoire. Il n'y a pas de chronologie dans les souvenirs qui affluent dans l'esprit de l'héroïne. Ce sont des associations d'idées, des images, des morceaux de poèmes ou de chansons, des fragments dispersés qu'il appartient au lecteur de relier afin de retracer l'histoire de Molly et d'enrichir son portrait de nuances subtiles. Synge, le théâtre, l'Irlande, l'épopée américaine marquée par le succès puis la chute, sa sœur qui est devenue une star à Hollywood, les bonheurs et les humiliations, ses mariages et ses enfants ...


Au fil des heures de cette journée particulière d'octobre 1952, parallèlement au monologue intérieur de Molly, le lecteur suit l'errance de la vieille dame dans les rues londoniennes encore marquées par le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les différents lieux où elle s'arrête en quête d'un peu de chaleur humaine, les gens qu'elle rencontre puis son arrivée dans les studios de la BBC où elle doit tenir un petit rôle mal payé dans une pièce radiophonique.

La structure rappelle l'Ulysse de James Joyce pour lequel Joseph O'Connor avoue une immense admiration mais l'hommage est plus vaste tant Muse bruisse de références à la culture irlandaise. Sans cependant s'y enfermer ce qui donne au roman une dimension supplémentaire.


Une lecture exigeante d'où jaillissent de purs instants de grâce.


Florence Cottin-Bee

(Mis en ligne sur parutions.com le 02/11/2011)

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011




lundi 10 octobre 2011

La vieille dame du riad



La vieille dame du riad
de Fouad Laroui
Julliard 2011 / 18 €- 117.9 ffr. / 248 pages
ISBN : 978-2-260-01959-6
FORMAT : 13,4cm x 20,6cm



Une année chez les Marocains


Après le délicieux Une année chez les Français paru l'an dernier dans lequel Fouad Laroui analysait subtilement les rapports compliqués qui unissent le Maroc à la France grâce à un portrait d'enfance particulièrement réussi, le romancier poursuit sa réflexion avec La vieille dame du riad.
Tenaillé depuis plusieurs années par une « furieuse envie d'aller voir ailleurs » , François propose à sa femme Cécile d'aller s'installer à Marrakech et d'y acheter un riad. Le couple de bobos parisiens règle donc les affaires courantes, s'envole pour le Maroc et acquiert rapidement le seul riad pour lequel ils ont eu un coup de foudre. Malheureusement pour eux, une intruse les a précédés. Cachée dans une petite chambre et murée dans un silence déconcertant « une très vieille femme, à la peau noire, tellement noire qu'elle semblait émettre des reflets bleutés. » ne semble pas disposée à quitter les lieux. Pour essayer de comprendre cette squatteuse mutique François et Cécile font appel à leur voisin Mansour, un jeune professeur. Chose surprenante, alors que la vieille dame ne parle pas, ce dernier entend une phrase étrange « ces chrétiens sont venus me ramener mon fils Tayeb » S'ensuivent des confessions tout aussi fantomatiques que Mansour retranscrit dans un manuscrit « Histoire de Tayeb »qu'il offre bientôt aux deux Français.

Cette histoire constitue l'excellente seconde partie du roman qui en compte trois. On y apprécie le souffle, l'émotion et la profondeur qui manquent cruellement aux deux autres. Derrière le destin emblématique de Tayeb c'est la destinée marocaine sur une grosse partie du vingtième siècle que Fouad Laroui raconte de façon passionnante. S'il dénonce le hold-up que représente le colonialisme, il ne tombe ni dans l'outrance ni dans la haine ce qui rend son propos clair et percutant.

Pour le reste, quelle déception ! Le romancier enchaîne les jeux de mots pas vraiment drôles, se complaît dans un name-dropping rapidement exaspérant et présente un couple de protagonistes inintéressants dont l'aventure ne passionne guère tant elle est facilement prévisible.

Porte-paroles de Fouad Laroui dans son combat pour la tolérance et sa volonté de lutter contre les préjugés, les personnages qu'il imagine se révèlent généralement complexes, touchants et attachants même s'ils sont à première vue insupportables à l'image de La femme la plus riche du Yorkshire, (Julliard, 2008) Tel n'est pas le cas dans La vieille dame du riad ce qui explique en grande partie la qualité moindre de ce dernier opus.

Florence Bee-Cottin
(Mis en ligne le 10/10/2011)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011






vendredi 2 septembre 2011

Mr Peanut


Mr Peanut
Adam Ross
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Baptiste Dupin
Editeur : 10/18 Collection Inédit Grand Format
ISBN : 2264052147


L'ombre d'un doute

« Entre le désir profond de se lier, de s'engager corps et âme, et le désir tout aussi profond de préserver sa liberté, d'échapper à tout lien, quel tohu-bohu ! Or, pour vivre ces exigences contradictoires et d'égale dignité sans être écartelé, il n'y a aucun secours à attendre ni de la philosophie, ni de la morale, ni d'aucun savoir constitué. Il est probable que les seuls modèles adaptés pour nous permettre d'avancer sont la haute-voltige et l'art du funambule. Un mariage ne se contracte pas. Il se danse. A nos risques et périls. »
Cet extrait de « Eloge du mariage, de l'engagement et autres folies ! » de Christiane Singer (Albin Michel, 2000) exprime parfaitement la tension qu'explore le romancier américain, Adam Ross dans un premier roman époustouflant.

David Pepin « président et designer en chef de Spellbound, une petite boîte de jeux vidéo extrêmement prospère » et Alice, enseignante, sont mariés depuis treize ans. Un mariage rythmé par les tentatives de la jeune femme pour vaincre ses tendances dépressives et son obésité morbide. De son côté, David se laisse aller à des rêveries inavouables qui mettent en scène la mort de sa femme. Jusqu'au jour où le fantasme devient réalité. Alice meurt d'un choc anaphylactique, ayant ingéré des cacahuètes, aliment auquel elle se sait allergique. Suicide ou meurtre habile ?

Deux inspecteurs new-yorkais, Ward Hastroll et Sam Sheppard, sont chargés de démêler un écheveau compliqué à souhait. David clame son innocence, cependant les apparences ne plaident pas vraiment en sa faveur.
Selon Sam Sheppard, « le métier d'inspecteur devrait être réservé aux hommes mariés ...Ils connaissaient des régions du cœur inconnues aux célibataires. Ils pouvaient imaginer suivre leur femme à son insu – et en fait pouvaient même imaginer les choses les plus terribles. »
Et question dysfonctionnement marital, nos deux inspecteurs en connaissent effectivement un rayon !
Hannah, la femme de Ward, a décidé depuis plusieurs mois de rester au lit laissant son mari impuissant face à une incarcération domestique qu'il ne parvient pas à s'expliquer et dont Hannah refuse obstinément de lui donner la clé.
Dans le cas de Sam, son mariage chaotique s'est achevé dans un bain de sang avec l'assassinat sordide de Marilyn alors enceinte de leur deuxième enfant. Un acte abominable dont il a été reconnu coupable avant d'être libéré au bout de dix ans pour vice de procédure puis acquitté par la Cour Suprême lors d'un second procès. Il ne s'agit pas ici de fiction pure mais de la réécriture d'un fait-divers qui a défrayé la chronique en 1954 aux Etats-Unis.

Les trois relations conjugales se mêlent en des échos multiples et des effets de miroirs saisissants.
Elles font apparaître le mariage comme une succession de cycles sombres ou lumineux, d'échecs cuisants mais aussi de chances qu'il faut savoir saisir, de blessures et de pardons.
Ces trois histoires s'enchâssent au sein d'une structure narrative dédaléenne qu'Adam Ross agrémente d'une construction en abyme avec le roman que David écrit sur son couple et de multiples références à l'oeuvre d'Alfred Hitchcock qui s'intègrent à l'intrigue (Ward Hastroll est par exemple l'anagramme de Lars Thorwald, le personnage de Fenêtre sur cour suspecté d'avoir tué sa femme.)

Sans doute inspirés par la technique hitchcockienne du MacGuffin, de nombreux chausse-trappes attendent le lecteur mis en position de détective mais aussi de joueur car Mr Peanut lui offre l'équivalent sous forme romanesque d' Escher X, l'un des jeux imaginés par David.

« Une œuvre brillamment conçue et programmée. Les décors s'inspiraient des célèbres gravures d'Escher … Le but du jeu était de guider votre avatar à travers chacun de ces niveaux labyrinthiques, ces royaumes sans fin, jusqu'à ce que vous trouviez les moyens secrets d'en échapper, le bouton ou la dalle qui déroulerait enfin le grand ruban de Möbius formant les décors. »
Dans le jeu vidéo, Möbius est le puissant personnage qui attend le joueur pour la confrontation finale. Dans le roman, David l'engage pour retrouver (?) Alice et son rôle s'avère tout aussi capital. Le ruban qui porte son nom évoque, lui, une forme infinie, un éternel recommencement. L'histoire se double donc d'une réflexion tout à fait passionnante sur l'écriture et la création littéraire.

Avec ce sensationnel polar métafictionnel, Adam Ross fait sans conteste partie des révélations réjouissantes de cette rentrée littéraire 2011.

Florence Cottin-Bee
Mis en ligne le 02/09/2011 sur parutions.com
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

jeudi 1 septembre 2011

Un Jour, le film


Vous avez adoré le roman de David Nicholls ... Qu'allez-vous penser du film de Lone Scherfig dont il a écrit le scénario?


UN JOUR - Vidéo Bande-Annonce VF HD
www.youtube.com

2 places à gagner pour les quatre premières réponses exactes à la question suivante :

Un Jour est le troisième roman de David Nicholls mais le premier à être traduit en français. Quels sont les titres anglais de ses deux précédents romans ?


Facile, on en a parlé lors de l'entretien!

Pour jouer, laissez un commentaire sur cet article en précisant votre nom, la date et l'heure de votre commentaire puis envoyez la réponse à : florencebee@gmail.com

Merci à la SND!
http://www.facebook.com/snd.films?sk=wall

Une année chez les Français


Une année chez les Français
de Fouad Laroui
Pocket - Jeunesse 2011 / 6 €- 39.3 ffr. / 284 pages
ISBN : 978-2-266-21903-7
FORMAT : 11cm x 17,8cm


Les (més)aventures de Mehdi en territoire inconnu

Rentrée des classes 1969, un minuscule garçonnet se présente au lycée Lyautey de Casablanca.

Il s'agit de Mehdi Khatib, originaire de Béni-Mellal dans les montagnes de l'Atlas, promis à un brillant avenir selon son instituteur qui s'est démené pour lui obtenir une bourse dans ce prestigieux établissement français.

« Qu'est-ce que je fais ici? », se demande Mehdi. Une année chez les Français lui sera nécessaire pour trouver la réponse, comprendre ce monde nouveau qui au départ lui échappe totalement et se défaire du sentiment de n'être qu'un « imposteur ».

Une odyssée fantastique pour le héros comme pour le lecteur …

Autour de Mehdi, Fouad Laroui imagine une galerie de personnages dont les sentiments à l'égard du petit garçon vont de l'hostilité sournoise à l'admiration sincère en passant par la condescendance amusée. Les épisodes cocasses qui se succèdent en disent long sur les rapports pas toujours simples entre Français de souche, généralement convaincus d'appartenir à l'élite intellectuelle de l'humanité et ressortissants de feu leur empire colonial.

Hymne à la tolérance, ce délicieux roman en partie autobiographique rend aussi hommage à la langue française que Mehdi manie avec une dextérité grandissante et aux livres dont il se repaît avec délices.

Un amour des mots que Fouad Laroui, romancier, poète, critique mais aussi professeur de littérature à l 'université d'Amsterdam sait merveilleusement partager.


Florence Cottin-Bee
( Mis en ligne le 31/08/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

Galveston


Galveston
de Nic Pizzolatto
Belfond 2011 / 19 €- 124.45 ffr. / 322 pages
ISBN : 978-2-7144-4700-5
FORMAT : 13,8cm x 22,2cm

Pierre Furlan (Traduction)


On the rocks

«Un médecin a pris une photo de mes poumons. Ils étaient pleins de rafales de neige. Quand je suis sorti du cabinet, les gens dans la salle d'attente ont tous paru soulagés de ne pas être à ma place. Il y a des trucs qu'on peut lire sur les visages». L'uppercut fait vaciller Roy Cady, le narrateur de Galveston, qui pourtant ne se laisse pas abattre : «on ne cesse pas d'être qui on est simplement parce qu'on a dans la poitrine un blizzard qui ressemble à des paillettes de savon».

Quelques heures plus tard, Roy, truand à la petite semaine et tueur à l'occasion, se rend donc chez Stan Ptitko, un mafieux patibulaire et caractériel. Leurs méfiance et antipathie mutuelles ont décuplé depuis que Stan sort avec Carmen, l'ex de Roy. La nouvelle mission que Stan confie à Roy sent d'ailleurs le traquenard vicieux. Premier épisode sanglant et ultra-violent de ce troublant roman noir.

Sorti vivant du piège, Roy n'a d'autre option que de fuir la Nouvelle-Orléans emmenant avec lui, Rocky, une toute jeune prostituée, elle aussi rescapée du carnage, la sœur de cette dernière, Tiffany, âgée de quatre ans, et une assurance-vie sous la forme de documents très compromettants pour Stan. Direction, Galveston, Texas, où le trio trouve refuge dans un motel miteux parmi d'autres cabossés de la vie. Nous sommes alors en 1987.

Bien que Roy ait à plusieurs reprises envie de partir, quelque chose le retient. La fragilité bouleversante de Rocky, le fardeau sordide qu'elle veut taire résonne chez lui comme un écho à ses propres blessures. Et puis, il ne peut abandonner Tiffany, ce petit bonheur d'appétit de vivre.

«IL Y A DES EXPÉRIENCES AUXQUELLES ON NE PEUT SURVIVRE ; après elles, on n'existe plus entièrement, même si on n'a pas réussi à mourir. Tout ce qui s'est passé en mai 1987 ne cessera jamais de s'être produit, sauf qu'on est maintenant vingt ans plus tard et que tout se qui s'est déroulé à ce moment-là n'est qu'une histoire».

Une histoire terrible, une expérience traumatisante dont Roy est sorti brisé au propre comme au figuré mais qui a fait de lui un homme meilleur, transformant l'alcoolique nombriliste en anti-héros magnifique. Vingt ans plus tard, le passé semble le rattraper sous les traits d'un mystérieux personnage en Jaguar. S'agit-il cette fois d'un arrêt de mort implacable ? Passé et présent alternent au fil des chapitres pour s'unir à la fin en une osmose salvatrice. La désespérance qui hante le roman laisse alors place à une lueur d'espoir.

En lisant Galveston, on pense souvent à James Ellroy, David Goodis ou encore Dashiell Hammett ; cependant pour ce premier roman, Nic Pizzolatto, lui aussi américain, trouve sa voix originale. Un cocktail de sauvagerie stylisée, de virilité parfois bestiale mais aussi d'émotion retenue et de tendresse pudique, qui offre des pages d'une beauté tout simplement incandescente.

Florence Bee
( Mis en ligne le 31/08/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

mardi 23 août 2011

Emission de Nicolas Castelnau-Bay



Le 20 août 2011, sur Fréquence Protestante, Nicolas Castelnau-Bay recevait Marie-Pierre Bay lors d'une émission passionnante, vibrant et émouvant hommage à Isaac Bashevis Singer.
En attendant que je parvienne à insérer le fichier audio dans l'article, voici le lien :

http://www.frequenceprotestante.com/index.php?id=11&date=20110820&cHash=ec3814d9b2




vendredi 12 août 2011

Message de Nicolas Castelnau-Bay, co-traducteur du recueil "Les Aventures d'un idéaliste"

Vu ce qu'Isaac Bashevis Singer représente pour moi, ce message m'a fait un plaisir immense ...


Chère Florence Cottin-Bee,


Nous souhaitions, ma mère Marie-Pierre Bay et moi-même, vous dire combien votre beau texte sur "Les Aventures d'un idéaliste" nous a touché...

À vrai dire, en ce qui me concerne, votre texte est avec la chronique de Audrey Pulvar et l'article de Florence Noiville ce à quoi j'ai été le plus sensible concernant ce très beau livre. Je tiens également à mentionner les articles tout à fait remarquables de Bruno Corty dans Le Figaro Littéraire et de Sophie Pujas dans Transfuge qui rendent également un bel et poignant hommage à notre cher Isaac Bashevis Singer et au recueil Les Aventures d'un idéaliste.

Vous avez admirablement bien lu, analysé et compris ces treize nouvelles, vous les avez "ressenties" et vous avez su exprimer tout cela en des lignes qui pour nous qui avons été des proches de Isaac Bashevis Singer sont extrêmement émouvantes. Mon père André Bay est le premier à l'avoir publié en France, déjà à l'époque dans la Cosmopolite, aux éditions Stock, au début des années 50. Ma mère a traduit la plupart de ses écrits en français. Moi-même j'ai été très marqué par sa personnalité tout au long de mon enfance et de mon adolescence. Il passait chaque année ses vacances à Wengen, en Suisse, et nous le retrouvions chaque année là-bas. J'ai aussi été présent à Stockholm lorsqu'il a reçu le Prix Nobel de littérature en 1978...


Actuellement, ma mère et moi nous sommes en train de retraduire totalement l'un de ses plus beaux (et plus longs) romans, "La Famille Moskat", qui devrait sortir aux éditions Stock fin 2012.


Merci encore pour tout,

Cordialement,

Nicolas Castelnau-Bay,

Paris, le Jeudi 11 Août 2011.


http://flosreviews.blogspot.com/2011/07/les-aventures-dun-idealiste.html


vendredi 15 juillet 2011

Les aventures d'un idéaliste


Les aventures d’un idéaliste - et autres nouvelles inédites
de Isaac Bashevis Singer
Stock- La Cosmopolite 2011 / 19 €- 124.45 ffr. / 240 pages
ISBN : 978-2-234-06435-5
FORMAT : 14cm x 20cm

Traduction de Marie-Pierre Bay et Nicolas Castelnau-Bay

Un monde à part

Comme l’on pouvait s’y attendre, Les aventures d’un idéaliste, recueil de treize nouvelles jusqu’ici inédites en français, permet une nouvelle fois d’apprécier l’immense talent de conteur d’Isaac Bashevis Singer, Prix Nobel de Littérature en 1978 disparu en 1991, et de méditer sur la tension si caractéristique qui habite son œuvre.

Né en Pologne en 1904, fils et petit-fils de rabbins, Singer s’éloigne très jeune de la voie qui semble tracée pour suivre l’exemple de son frère Joshua qui a choisi l’écriture. Dans les années 30, tous deux pressentent la catastrophe imminente et décident de quitter le Vieux Monde pour le Nouveau. Isaac rejoint Joshua à New York en 1935, laissant derrière lui une culture yiddish promise à l’extinction, qu’il n’aura de cesse de sauver de l’oubli. Si l’adaptation aux Etats-Unis est difficile pour Singer, elle le sera bien plus encore pour les survivants de l’Holocauste dont l’indicible souffrance hante une autre partie de ses écrits.

Toujours à mi-chemin entre scepticisme et foi, Singer ne cesse de s’interroger sur cette omniprésence du mal sur terre, exemplifiée par la destinée tragique du peuple élu. Face à une justice divine incompréhensible qui s’apparente à une trahison, la fiction lui permet de livrer contre le «Hitler céleste», une «guerre privée» dont ses romans et nouvelles sont autant de batailles. Pour ce farouche antirationaliste, l’homme serait cependant fou de se juger capable de tout comprendre.

Dans son univers très particulier, les personnages se débattent entre tradition et modernité, orthodoxie sclérosante et liberté de pensée dangereuse, engagement religieux et apostasie. Qu’il situe le décor en Pologne ou aux Etats-Unis, Singer explore toujours leurs désirs, leurs obsessions, leurs doutes. Suivant le thème de son histoire, il choisit pour les exprimer deux formes à première vue incompatibles, le réalisme ou le fantastique, et pourtant bien souvent opte pour un mélange des deux. Le recueil illustre à merveille les trois possibilités.

Dans la veine réaliste figurent entre-autres Exes qui met en scène la rencontre de deux anciens époux et l’illusion d’un nouveau possible qui s’évanouit rapidement, Le Tableau où un peintre se venge de l’infidélité de sa femme par l’intermédiaire d’une toile, Le Mathématicien qui sonde la psychologie d’un homme en proie à une jalousie dévorante, Le Projet immobilier qui voit le protagoniste perdre sa fortune et sombrer dans la folie, ou encore Deux, la bouleversante histoire de deux rescapés de l’Holocauste qui ont décidé d’en finir.

Pour l’aspect purement fantastique, on se régalera avec Heshele et Hanele ou le pouvoir d’un rêve, un conte merveilleux dans lequel une prémonition rêvée devient réalité pour le bonheur des deux héros. Fantastique pour le lecteur mais pas vraiment pour Singer qui croyait en l’existence des rêves prophétiques tout comme en celle des esprits démoniaques ou de la métempsycose. D’où l’intrusion fréquente d’éléments surnaturels dans des récits par ailleurs réalistes. L’Oiseau, première nouvelle du recueil, en offre un bien joli exemple. La perruche qui vient se poser sur le bord de la fenêtre du narrateur ne serait-elle pas la réincarnation de la femme aux yeux noirs qu’il a tant aimée avant sa mort tragique au cours de la Seconde Guerre mondiale ?

«Au bout du compte, que reste-t-il après nous les écrivains ? Rien qu’un tas de papier». C’est ce qu’affirme dans Les Aventures d’un idéaliste un écrivain yiddish raté dont le manuscrit constamment réinventé par d’autres ne pourra être publié qu’après sa mort. L’œuvre de Singer, d’abord écrite en yiddish avant d’être traduite en américain, infirme ce propos quelque peu définitif.

Isaac, le petit garçon de la rue Krochmalna dans le ghetto de Varsovie, devenu plus tard citoyen américain, a, lui, redonné vie à un monde assassiné et à une culture vouée à la disparition. Du tas de papier émerge donc un témoignage inestimable. La seule réponse possible pour Singer à la question qui l’obsédait. Son rempart contre le mal.

Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 15/07/2011 ) Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

lundi 11 juillet 2011

Entretien avec Jasper Fforde


Premiers pas dans la fantasy

Entretien avec Jasper Fforde
- (Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de dragons, Fleuve Noir, Juin 2011)

À l’occasion de son passage à Saint-Malo pour le festival Étonnants Voyageurs en juin 2011, Jasper Fforde a rencontré l’une de nos collaboratrices.


Parutions.com : Vous êtes à Saint-Malo pour présenter le premier opus de votre quatrième série qui met en scène une nouvelle héroïne, la jeune mais déjà très mûre Jennifer Strange. Chacune de vos séries possède un monde bien particulier dans lequel le ou la protagoniste doit relever des défis inattendus. Comment décririez-vous Jennifer, le monde dans lequel elle vit et la mission dont elle se retrouve chargée ?

Jasper Fforde : Eh bien pour expliquer mon travail, je dirais d’abord que j’essaie de créer un genre à moi, je prends donc une idée fantasque et je la rends réaliste. Avec ce roman, je pars du principe que la magie existe, que le monde médiéval existe aussi et j’y ajoute la bureaucratie, les dérives humaines et puis le fait que la magie ne fonctionne pas aussi bien que nous pourrions l’espérer. Je cherche à inventer un monde que nous puissions reconnaître comme potentiellement nôtre. Une sorte de réalisme fantastique, si vous voulez. Alors, j’ai créé ce personnage de Jennifer Strange, une enfant trouvée, abandonnée bébé dans un orphelinat et très précoce puisqu’elle travaille déjà pour une Maison d’enchantement appelée Kazam. Pour avoir le droit de jeter des sorts, il faut en effet être un sorcier accrédité. Sans cette accréditation auprès d’une Maison d’enchantement, vous risquez le bûcher ! Dans ce monde où la magie perd inexorablement de son prestige, Jennifer apprend l’existence d’une prophétie qui annonce la mort très prochaine du dernier dragon et avec elle peut-être la disparition de ce qui reste de magie. Démarre alors cette aventure qui va la mener de surprise en surprise.

Parutions.com : Vous faites partie ici des auteurs jeunesse et indiquez que Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons est plus particulièrement destiné aux adolescents ou jeunes adultes. Aviez-vous ce lectorat en tête quand vous avez commencé le roman ou est-ce le thème que vous avez choisi qui vous y a naturellement conduit ?

Jasper Fforde : Pour beaucoup d’auteurs qui écrivent pour les adultes, écrire tout à coup pour des enfants ou des jeunes adultes s’apparente sans doute à un grand saut dans l’inconnu. Ce n’est pas mon cas, mes autres livres contiennent déjà cette dimension fantastique qui peut plaire aux jeunes. Aux enfants de tout âge en définitive car je suis convaincu qu’il reste chez presque tous les adultes une part d’enfance indéracinable. Je pense également que mes autres romans s’adressent à ces lecteurs adultes qui ont conservé la curiosité et l’excitation face à la nouveauté propres aux enfants. Alors je n’ai pas changé grand-chose sauf que j’ai utilisé moins d’intrigues secondaires. L’intrigue principale reste par contre tout aussi complexe. Et puis j’ai retiré beaucoup d’allusions à ce qui me semblait important. Un jeune même très intelligent n’est pas sur terre depuis suffisamment longtemps pour pouvoir saisir toutes les petites références dont j’aime parsemer mes livres !

Parutions.com : Comment expliquez-vous l’attirance des adolescents pour la fantasy ?

Jasper Fforde : Sans doute parce qu’ils ont encore en eux une grande part de fantaisie ! Les gens qui n’apprécient pas la fantasy estiment que c’est un genre à destination des jeunes, je ne pense pas qu’ils aient raison. Je me souviens de la sortie des Harry Potter au Royaume-Uni, il y avait deux couvertures, une pour les jeunes et une pour les adultes afin que ces derniers puissent lire dans le train ou le bus sans se sentir ridicules ! Pour ma part, je trouve souvent la littérature pour adultes affreusement ennuyeuse, toutes ces histoires de drames humains, c’est terrible ! Pour n’importe quel écrivain, la fantasy est un champ d’exploration merveilleux qui n’érige aucune frontière. C’est sûrement aussi pour cela que cela plaît tant aux jeunes, eux-mêmes n’ont pas encore de frontières, ils ont l’esprit ouvert et se montrent curieux de tout. Il est dommage que nous perdions souvent cette curiosité en vieillissant.

Parutions.com : Vous qualifiez Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons d’antidote à des romans de sorciers ou de trolls plus sérieux. Sérieux rime-t-il avec vénéneux ?

Jasper Fforde : Non, c’est juste que j’aime toujours autant remettre les genres en question. Il y a tellement de livres avec de la magie, des sorciers, des lutins ou des trolls, alors je me suis dit pourquoi de pas prendre ce genre un peu fatigué et en faire quelque chose de différent. Par exemple pour les trolls, dans le deuxième volume des aventures de Jennifer, on en rencontre pour de vrai et on se rend compte qu’ils ne sont pas du tout tels que nous les imaginions. D’habitude, dans les romans que j’évoque, on utilise des baguettes magiques, on vole sur des manches à balai et quand on claque des doigts, le sort réussit. Avec moi, pas du tout, en plus les gens font des erreurs et rien n’est simple. Comme dans la vie.

Parutions.com : Le monde de Jennifer, bien que différent du nôtre, lui ressemble parfois dans ses défauts de façon frappante. Vous procédez d’ailleurs de la même manière dans vos autres séries. L’humour est-il le meilleur moyen pour dénoncer nos dérives ?

Jasper Fforde : Absolument. Comme on dit, tandis que le sérieux cherche la serrure en tâtonnant, l’humour se glisse sous la porte. C’est tout à fait vrai, on peut aller tellement plus loin avec l’humour. Et puis, plutôt que d’inventer entièrement un univers, je préfère utiliser des choses que nous connaissons, il est alors sûrement plus facile d’adhérer à l’histoire.

Parutions.com : N’importe quel conte, même le plus loufoque, contient une morale. Quelle est-elle dans le livre ?

Jasper Fforde : Sans doute que l’argent ne fait pas le bonheur. Jennifer se méfie terriblement du monde des affaires et de la cupidité qui y règne. Alors lorsqu’elle doit choisir entre épargner un dragon et gagner beaucoup d’argent, elle opte pour la première solution. Cette cupidité caractérise aussi le monde dans lequel nous vivons et nous en avons de nouveaux exemples inquiétants tous les jours.

Parutions.com : Il existe comme un air de famille entre Jennifer et Thursday Next, l’héroïne de votre première série. Qu’en pensez-vous ?

Jasper Fforde : Ce que j’aime chez Thursday, c’est son côté impétueux, elle prend des risques et s’attire facilement des ennuis, et puis elle est drôle. Beaucoup plus que Jennifer qui, elle, réfléchit davantage avant d’agir. Alors Jennifer pourrait être la petite sœur sérieuse de Thursday, celle qui fait toujours tout bien et à qui tout réussit.

Parutions.com : Vous avez travaillé pour l’industrie cinématographique et vous êtes peu à peu tourné vers l’écriture. Comment les choses se sont-elles passées ?

Jasper Fforde : J’ai écrit pendant une dizaine d’années avant d’être publié. Ma première nouvelle date de 1988, j’ai fini mon premier roman en 1993. Quand j’ai été édité pour la première fois en 2001, j’avais déjà écrit sept romans. Je menais deux carrières de front, le cinéma pour vivre et l’écriture sur mon temps libre. J’ai toujours adoré écrire mais je savais que les choses ne seraient pas faciles. Quand je repense à cette période, j’y vois une décennie d’apprentissage pendant laquelle j’ai progressé, et non une succession de rejets de la part des maisons d’édition. C’est d’ailleurs le conseil que je donne aux jeunes auteurs, ne pas s’attendre à un succès immédiat et penser à long terme.

Parutions.com : Vous avez commencé par écrire des nouvelles, étape nécessaire pour vous avant d’envisager des textes plus longs. L’art du nouvelliste ne requiert-il pas aussi une très grande maîtrise ?

Jasper Fforde : Si bien sûr. Mais je n’avais aucune expérience de l’écriture, ni formation ni diplôme dans ce domaine. Je suis vraiment un pur autodidacte en la matière. Il fallait donc bien que je commence quelque part, alors j’ai démarré avec des nouvelles, j’ai travaillé et perfectionné ma technique et peu à peu j’ai pu écrire des choses de plus en plus longues pour arriver à un roman. J’ai adoré écrire des nouvelles et j’aimerais bien recommencer. D’ailleurs dans la série des Thursday Next, chaque chapitre propose une épigraphe, un court paragraphe qui ressemble par son côté condensé et indépendant à une toute petite nouvelle.

Parutions.com : Vous avez mis quatre ans à écrire L’Affaire Jane Eyre (premier de la série des Thursday Next), Votre rythme s’est beaucoup accéléré depuis. Est-ce devenu plus facile ?

Jasper Fforde : Je ne sais pas si c’est plus facile car plus j’écris, plus je me rends compte que je pourrais être bien meilleur !

Parutions.com : En ce qui concerne l’écriture, vous parlez de technique. Rejetez-vous l’idée d’un don ou d’un talent inné ?

Jasper Fforde : Oui, totalement. Il y a juste des gens très intelligents qui apprennent vite mais pourraient tout autant s’illustrer dans un autre domaine. C’est toujours le cas. Prenez Frank Lloyd Wright par exemple, s’il n’avait pas choisi l’architecture, il aurait été brillant dans autre chose. Eh bien, il en va de même pour les grands auteurs.

Parutions.com : Avez-vous déjà ressenti l’angoisse de la page blanche ?

Jasper Fforde : Là encore, cela n’existe pas. Voilà juste une excuse que nous, auteurs, avons inventée pour ne pas être dérangés et nous attirer une certaine compassion ! C’est pareil pour les artistes, les acteurs, les poètes ou les musiciens, parce que nous travaillons dans un domaine artistique, nous estimons ne pas devoir suivre les mêmes règles que tout le monde. Mais il n’y a rien de particulier dans le fait d’être un auteur, c’est une profession comme il en existe des milliers d’autres. Vous avez déjà entendu un plombier dire qu’il n’a pas fait de plomberie depuis un an parce qu’il se sent bloqué ? Moi, j’assemble des mots et j’invente des histoires comme d’autres réparent des voitures. Il n’y a donc aucune raison d’être mis sur un piédestal.

Parutions.com : Vos fans adorent la façon dont vous vous amusez avec les classiques. La littérature doit-elle être désacralisée ?

Jasper Fforde : C’est mon avis, en tout cas. Prenez n’importe quelle pièce de Shakespeare, vous la regardez pour vous divertir, c’est génial ; par contre, si vous commencez à écouter quelqu’un discourir dessus, cela devient très rapidement assommant. D’ailleurs Shakespeare écrivait pour que le public s’amuse et cela marchait formidablement bien. J’avoue trouver les livres très intellectuels souvent prodigieusement ennuyeux et je ne me considère pas comme un auteur littéraire mais plutôt comme un amuseur. Les gens achètent mes livres et moi en retour je leur donne quelques heures de divertissement, si ce n’est pas le cas, eh bien, je n’ai pas respecté mon engagement.

Parutions.com : Vos lecteurs s’amusent en effet beaucoup et n’ont pas besoin de comprendre toutes les références pour apprécier vos romans.

Jasper Fforde : J’aime qu’il y ait plusieurs niveaux dans mes livres, plusieurs possibilités de lecture. Si vous avez 14 ou 15 ans, vous pouvez très bien lire les aventures de Thursday et vous amuser des courses-poursuites et des plaisanteries stupides. Si vous avez lu quelques classiques, vous y trouverez un peu plus de grain à moudre et puis si vous êtes un féru de littérature, vous découvrirez les petites plaisanteries ésotériques, les petits œufs de Pâques que j’ai cachés à votre intention.

Parutions.com : Cette interaction avec le lecteur semble très importante pour vous. À cet égard, votre site (
http://www.jasperfforde.com/)est une réussite. Quelle importance revêt-il à vos yeux ?

Jasper Fforde : Je considère ce site comme un service après-vente. Lorsque je publiais un livre par an (maintenant, c’est un tous les six mois), j’ai pensé que nous pourrions essayer de donner un petit plus aux lecteurs, un peu comme les bonus sur un DVD. J’aime imaginer qu’un livre a sa vie propre mais que je le rends encore plus vivant par ce biais. C’est aussi une sorte de laboratoire qui me permet d’expérimenter de nouvelles idées et de recueillir l’avis des gens. C’est un très gros site maintenant, plus de treize-cents pages, presque l’équivalent de deux romans !

Parutions.com : Dans Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, le pays de Galles est présent au sein des Royaumes-Désunis. Pour vous qui y vivez, quelle est sa particularité au Royaume-Uni ?

Jasper Fforde : Sans doute d’être un assemblage disparate. Au sud, une région industrielle, du charbon et de l’acier, qui n’a pas tellement changé depuis les années 30 ou 50. Au milieu, c’est un peu l’Afghanistan avec des seigneurs de guerre qui se livrent une bataille sans merci dans des trafics en tout genre. Et puis, au nord, de très beaux endroits et une économie qui repose entièrement sur le tourisme. Dans la série des Thursday Next, j’ai trouvé amusant d’en faire une grande république socialiste !


Entretien mené en Anglais le 11 juin 2011, et traduit par Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 11/07/2011 )

mardi 28 juin 2011

Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de dragons



Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de dragons de Jasper Fforde
Fleuve noir - Territoires 2011 /
15.90 €- 104.15 ffr. / 296 pages

ISBN : 978-2-265-09306-5
FORMAT : 14cm x 22,5cm
Traduction de Michel Pagel

Fanta(i)sie ffordienne


Prenez une jeune orpheline, élevée au couvent des Bienheureuses du Homard, propulsée directrice suppléante de Kazam, l’une des deux dernières «Maisons d’enchantement» des Royaumes Désunis et qui se retrouve chargée d’exterminer le dernier dragon de Dragonie, un territoire au centre de bien des convoitises. Qui, à part Jasper Fforde, pouvait donc imaginer une histoire aussi folle ?

On connaissait l’inclassable Britannique pour son excellente série de thrillers littéraires totalement décalés mettant en scène Thursday Next, une détective qui opère à l’intérieur de la fiction (cinq romans déjà traduits chez Fleuve Noir et le sixième à paraître). Premier opus de ce qui devrait devenir une trilogie, c’est à un public plus jeune que s’adresse Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, ou les aventures d’une adolescente entourée de magiciens caractériels, manipulée par un roi fourbe et attendrie par un vieux dragon au final très délicat. Flanquée de son fidèle quarkon, un improbable animal à l’aspect terrifiant et dotée d’Exhorbitus, l’épée magique du Tueur de dragons, Jennifer lutte pour que justice et vérité l’emportent, aidée dans sa tâche par le jeune Grizz Crevettes, enfant trouvé comme elle et particulièrement doué pour la «carrière d’agent en Arts Mystiques».

Jasper Fforde définit son projet comme «un antidote à des romans plus sérieux sur les sorciers et les trolls». Révolue en effet «l’époque où la magie était puissante et non réglementée par le gouvernement, si bien qu’on avait le droit de tisser même le sort le plus ambitieux sans remplir le formulaire d’autorisation B1-7G» ; la sorcellerie est devenue «une industrie en phase de déclin ultime. Jadis, les sorciers conseillaient les souverains ; à présent ils réparaient les installations électriques et débouchaient les canalisations» Ou bien se servent de tapis volants pour livrer des organes ou des repas à domicile !

Derrière le conte farfelu se cache aussi un propos un peu plus sérieux. Le romancier procède comme à son habitude, il crée un monde imaginaire qui par ses travers et dérives ressemble furieusement au nôtre et dénonce pèle-mêle, l’argent et la convoitise qu’il suscite, l’instinct grégaire des foules, l’indigence de certains médias ou encore la tentation pour un dirigeant d’abuser de son pouvoir. Cependant ce qui intéresse avant tout Jasper Fforde, c’est amuser ses lecteurs. Et là encore, il y parvient pleinement. Si l’intrigue est volontairement moins complexe que dans la série des Thursday Next et les références littéraires moins nombreuses et plus accessibles, les jeux de mots foisonnent (une horreur pour le traducteur qui s’en est brillamment sorti) et l’humour ffordien fait mouche. Un plaisir que l’on peut sans l’ombre d’un doute goûter à tout âge !

Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 22/06/2011 ) Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2011

mercredi 15 juin 2011

Entretien avec David Nicholls


L'actualité du livre et du DVD
Littératureet Entretiens

Entretien avec David Nicholls - (Un jour, Belfond, Février 2011)



David Nicholls, Un jour, Belfond, Février 2011, 534 p., 22 €, ISBN : 978-2-7144-4714-2

Traduction de Karine Reignier


Grandir

Parutions.com : Vous êtes à Paris à l'occasion du Salon du Livre pour présenter Un jour, premier de vos romans à être traduit en France. Pouvez-vous le présenter en quelques mots pour vos futurs lecteurs français ?

David Nicholls : Un jour est en fait mon troisième ouvrage. C'est un mélange de comédie, de drame et de romance. C'est une sorte d'histoire d'amour à la fois épique, drôle et triste. L'histoire débute il y a vingt ans et suit deux personnages qui s'entendent pour se retrouver chaque année à la même date. Une histoire d'amour en vingt instantanés, vingt photographies d'une relation voyant les deux personnages évoluer, d'abord étudiants pleins d'idéaux, ensuite adultes d'âges moyens.

Parutions.com : Comment êtes-vous venu à l'écriture ? Vous avez déclaré qu'adolescent, vous étiez intéressé par la paléontologie et la biologie !

David Nicholls : Enfant, je ne venais pas d'une famille très férue de livres, mais j'étais assez ''nerd''. J'aimais les sciences et la lecture. Je suis passé par une série de phases et j'étais obsédé, comme beaucoup d'enfants aujourd'hui, par les dinosaures. Les enfants n'étaient pas aussi obsédés par ça à l'époque qu'ils ne le sont maintenant. Moi, j'aimais les sciences et la nature, la médecine et l'histoire ; j'ai fait mon chemin à travers ces passions et j'ai fini par me poser avec la littérature et les livres. C'est ce que j'ai étudié à l'université. Quand j'avais une vingtaine d’années, je me suis essayé au théâtre, comme acteur, et j'ai alors décidé de passer à l'écriture.

Parutions.com : Pour revenir à Un jour, les deux personnages, Emma et Dexter, se retrouvent donc chaque année pendant vingt ans à chaque 15 Juillet, célébrant celui de 1988, jour de leur rencontre et de l'obtention de leur diplôme. Une nuit mémorable... L'épigraphe de la première partie est une citation des Grandes espérances qui résume très joliment le début de votre roman. Charles Dickens a-t-il été pour vous une source d'inspiration ?

David Nicholls : Mon admiration pour Dickens date de longtemps. Il reste le premier auteur classique que j'ai aimé. Je l'aime aujourd'hui encore, je suis en fait un fan absolu de Dickens. Mon roman ne ressemble en rien aux siens cependant sinon peut-être par son accessibilité et le fait que l'histoire est bonne il me semble. J'ai lu Les Grandes espérances quand j'avais 13/14 ans et j'ai trouvé le livre extraordinaire ; je me suis identifié très fortement à l'histoire. C'est un formidable roman d'apprentissage, sur les difficultés de l'entrée dans l'âge adulte, sur qui l'on est, qui l'on devient et les erreurs que l'on peut commettre. C'est depuis l'un des auteurs que j'affectionne le plus ; je relis ses romans régulièrement mais j'ai moins de temps maintenant pour lire des histoires de mille pages. Cela dit, je travaille actuellement à l'adaptation pour le cinéma des Grandes espérances, une adaptation plutôt fidèle qui devrait être produite d'ici la fin de l'année.

Parutions.com : Le choix du 15 Juillet et de la St Swithin fut-il aléatoire où revêt-il pour vous un sens particulier ?

David Nicholls : L'idée de départ était qu'il s'agisse d'un jour complètement aléatoire, poussant le lecteur à se demander pourquoi ce jour-là et non un anniversaire, le Nouvel an ou la Saint-Valentin. Un jour ordinaire comme il y en a tant, certains absolument banals, agréables cependant, du moins faut-il l'espérer, et d'autres plus spéciaux, plus riches en événements, romantiques, drôles, absurdes aussi. Le slogan pour ce roman est qu'il n'existe pas de jour ordinaire. Chaque journée contient un écho du passé qui affecte notre futur. Il m'a semblé intéressant d'écrire sur une série de jours ordinaires. Mais ce jour-là devait avoir lieu en Juillet qui est le mois des remises de diplômes en Angleterre. Il devait s'agir d'une journée à laquelle les personnages se réfèreraient et j'aimais bien aussi cette histoire peu connu de Phil de Punxsutawney, une vieille tradition britannique équivalente au Jour de la Marmotte. Cette perspective m'intéressait beaucoup pour ce qu'elle suggérait sur le futur, la destinée et l'imprévisibilité des choses. Je me suis donc décidé pour ce jour qui n'est pas très connu mais qui avait une résonance intéressante, un jour ordinaire qui avait aussi un certain sens.

Parutions.com : Emma et Dexter sont très différents. Qu'est-ce qui selon vous les sépare le plus ?

David Nicholls : Toute fiction britannique, à un moment ou à un autre, touche la question des classes sociales, et Dexter vient d'un milieu très favorisé. Il a cette confiance en lui, cette fierté presque arrogante, cette connaissance de ce qui lui est dû. Emma s'est construite seule. C'est une autodidacte venue d'un milieu plus modeste, à l'intelligence vive, beaucoup d'esprit, bien plus que Dexter le privilégié. Dexter a cette assurance totale alors qu'Emma est plus incertaine de ses choix. Dexter peut être égoïste et négligeant alors qu'Emma est quelqu'un de responsable et impliqué politiquement. Emma est une femme ouverte et sensible quand Dexter est plus vain et cache davantage ses instincts les meilleurs. On a donc là une comédie romantique classique, autour d'un couple que tout oppose mais qui doit pourtant s'aimer. Ce sont les tensions entre eux qui font qu'on a là un couple parfait. Cette tradition remonte à Beaucoup de bruit pour rien, Orgueil et Préjugés jusqu'à l'âge d'or hollywoodien et je tenais vraiment à m'inscrire dans cette tradition. C'était important pour moi de créer deux personnages qui feraient des étincelles. Beaucoup de comédies semblent se fonder sur la quête de l'être miroir, avec les mêmes goûts, la même personnalité, les mêmes centres d'intérêts. Dans un roman ou un film, c'est toujours mieux d'avoir cette friction.

Parutions.com : Lors de leur nuit ensemble chez Emma, la chambre de la jeune fille nous est décrite à travers le regard de Dexter comme un véritable manifeste des idéaux de gauche, une mise en scène qu'il a vue des dizaines de fois dans les chambres d'autres filles et dont le côté prévisible et convenu l'ennuie. Il s'avère qu'il a tort. Qu'est-ce qui fait qu'Emma sort des lieux communs de la bas-bleu ?

David Nicholls : Je ne suis pas d'accord avec vous. Je ne pense pas qu'Emma rejetterait le qualificatif de bas-bleu. Elle n'a pas toujours le courage de ses convictions, la confiance nécessaire mais je crois qu'elle compense cela par du show. C'est quelqu'un de vulnérable et d'anxieux, comme Dexter. Mais c'est quelqu'un de plus doux et affectueux qu'elle ne semble au premier abord. Je crois que c'est quelqu'un de mal à l'aise avec les conventions et la moralité ; elle est gênée par ce qu'elle ressent pour ce garçon vain et stupide. Si le roman n'est en rien historique, il s'inscrit aussi dans une époque, la fin des années 80, où l'on été encouragé à avoir une morale politique assise et inébranlable ; avec les années 90, beaucoup de ces croyances se sont évaporées avec une série d'événements marquants, la chute du Mur de Berlin, la libération de Mandela, la fin du thatchérisme. Emma suit alors le cours du temps et il devient très dur pour elle de maintenir ces idéaux. Elle est en quelque sorte un produit de son époque.

Parutions.com : Un jour décrit en effet aussi 20 ans d'histoire culturelle et politique en Angleterre, avec ce passage d'un gouvernement conservateur à un gouvernement travailliste. Quel changement cela a-t-il apporté ? Comment voyez-vous le bilan des années Blair ?

David Nicholls : C'est intéressant. Tony Blair est arrivé au pouvoir en 97 mais je crois que les années 90 avaient déjà connu un grand bouleversement. Les années 80 étaient une période de division et de colère, une décennie dominée par les combats syndicalistes. Les années 90 ont semblé apporter un soulagement et je crois que la culture pop a joué un grand rôle dans cela, avec un regain de confiance. Au cœur des années 90, la Grande-Bretagne se sentait aussi signifiante et influente culturellement qu'elle l'avait été dans les sixties. C'était également une époque où, je crois, les certitudes politiques se sont évaporées. J'étais à l'université durant l'apogée du radicalisme féministe ; c'était une époque de tensions fortes. Alors que trois ans plus tard, dans les années 90, l'ambiance dans les universités était à la fête. 1985-88 fut une époque dure. La révolution blairiste est donc survenue un peu avant Blair. Le cœur des années 90, à Londres notamment, donnait l'impression d'un temps de décadence, de confiance et de fun. Et comme toutes les périodes hédonistes, les choses se sont peu à peu corsées.

Parutions.com : Le lien entre les deux personnages est très fort dès le départ. Pourtant, l'histoire de leur relation, avec ses hauts et ses bas, est une succession d'occasions manquées, de malentendus et de déceptions. D'où viennent ces accidents de parcours selon vous ?

David Nicholls : Le but n'était pas d'écrire une histoire de vingt ans qui aurait été comme un long fleuve tranquille, une période de vacances perpétuelles et de fêtes farfelues. Je voulais au contraire obtenir un sens vrai des changements et des fluctuations d'une relation d'amitié. Il y a donc trois années pendant lesquelles ils ne se voient pas et ne se parlent pas. J'ai la chance moi-même d'avoir des amis de longue date, mais cela ne m'empêche pas parfois de vouloir leur raccrocher au nez et hurler ! Je voulais saisir cela, cet aspect un peu insensé d'une amitié réelle et montrer que ça n'est pas toujours drôle, qu'on ne s'apprécie pas toujours mutuellement. Ils sont parfois coupés l'un de l'autre pour des raisons très concrètes : une lettre qu'on n'envoie pas, un appel qu'on ne passe pas. On n'a pas là un roman à la Thomas Hardy à part peut-être pour le rôle qu'y joue le destin. J'aime cela chez Hardy et mon roman est marqué par un passage de Tess d'Uberville. Il y a aussi ce passage avec la lettre sous le paillasson et comment cela change le cours de l'histoire. J'ai pensé qu'il s'agissait d'un thème très fort, comment une mauvaise décision, un mot mal choisi ou un message manqué peuvent affecter le cours de nos vies. Il y a de cela, les virages et les retournements qu'un scénario nécessite, le rôle du destin mais aussi l'idée que nos caractères changent. Le Dexter qu'Emma connaissait à vingt ans n'était pas quelqu'un avec qui elle pouvait vivre. Et inversement. Tout est question de personnalités. Un moment clé dans le roman est quand Dexter décrit comment lui et Emma se sont rencontrés et qu'il explique qu'ils ont grandi ensemble. C'est parce qu'ils prennent conscience de ce chemin parcouru ensemble qu'ils peuvent devenir plus que des amis.

Parutions.com : Nous les voyons en effet grandir ensemble au fil de l'intrigue, se battant l'un et l'autre pour un peu de bonheur. Qu'est-ce que grandir selon vous ?

David Nicholls : Je pense que je m'identifie plus à Emma. Pour elle, grandir, c'est gagner en assurance et confiance en soi, c'est le sentiment que vous êtes adulte à présent et qu'il vous faut prendre l'entière responsabilité de vos actes. Pour moi, avoir 17 ou 24 ans était plus ou moins la même chose. Cette période autour de vingt ans est un moment très tourmenté et émotionnel, sans doute le moment de sa vie le plus imprévisible. Pour moi comme pour les personnages, l'entrée dans la trentaine apporte une certaine conscience des choses, un premier bilan sur les erreurs commises, un certain calme aussi. J'étais bien plus heureux comme trentenaire que quand j'avais vingt ans.

Parutions.com : Emma et Dexter ont des vies affectives assez parallèles ; ils ont des histoires amoureuses malheureuses chacun de son côté. C'est au niveau professionnel que leurs parcours divergent. Alors qu'Emma monte dans l'échelle sociale – serveuse pour commencer, puis professeur et écrivain enfin -, Dexter suit une dynamique inverse, peu à peu amoindri au sein du monde impitoyable des médias ? Pourquoi un tel échec ?

David Nicholls : Bon, vers la fin, il se remet un peu et finit par trouver son rôle. Quand j'ai quitté l'université, une partie de mes camarades avait une énergie et une assurance folles, ils savaient ce qu'ils voulaient faire. Une autre partie d'entre eux a détesté abandonner la vie étudiante avec tout ce temps et cet espace que les années d'université offraient. Dexter était de ceux qui embrassaient la vie à bras le corps, confiant dans l'avenir et décidés à réussir. Mais il a du mal à maintenir le cap. Être un jeune homme qui réussit à Londres à l'époque n'était pas facile. C'était très dur de maintenir un niveau de vie comme celui-ci. Il se retrouve dans un travail et un train de vie où il est très dur de décider quand partir. J'ai travaillé dans la télévision, d'abord comme script puis comme auteur, et dans les bureaux de la chaîne, on voyait très peu de gens ayant entre 50 et 60 ans. Il y avait un manque imperceptible de quadras. Je me suis demandé ce qu'il avait pu leur arriver, en comparaison avec d'autres secteurs où 40 ans est l'âge où l'on assoit une position et confirme son statut. Ici, on avait plutôt l'impression que vous étiez un cheval de course qui avait épuisé toutes ses cartouches. C'était très perturbant de voir tous ces gens partir, chuter, et Dexter est de ces gens-là. Bien sûr, son parcours est aussi dicté par les impératifs de l'histoire et je suis sûr qu'il est possible d'avoir une carrière solide et durable à la télévision. Il y avait aussi cette idée très hédoniste dans les années 90 qu'il fallait avoir du bon temps, profiter, faire la fête. Beaucoup de mes collègues hommes sont entrés dans la danse, avec des nuits de fêtes... toutes suivies de sévères gueules de bois. Et je crois que nous avons tous fini par ressentir cette gueule de bois.

Parutions.com : Emma vient d'un milieu ouvrier alors que Dexter est d'une famille aisée. Pensez-vous que la société britannique soit aujourd'hui aussi classiste qu'elle l'était ou pensez-vous que les choses commencent à changer ?

David Nicholls : Je ne connais personne de 23 ans maintenant mais quand je suis arrivé à l'université, je pense que c'était une obsession, une fixation malsaine de savoir d'où vous veniez, ce que vos parents faisaient et à quelle ''classe'' vous apparteniez. J'ai 44 ans à présent et je viens tout juste de secouer un peu cette mentalité. Je me vois tel que je suis et non tel que mes parents sont. Il n'y a là en fait aucun snobisme, tout au contraire. Il y a cette croyance que ceux des classes moyennes ont la vie plus facile et que le seul talent est de faire quelque chose de sa vie en dépassant son cadre social d'origine, plutôt que de débarquer à l'université et montrer à quel point sa famille est pauvre. C'est une fierté assez étrange. Pour moi, ce n'est pas sain, et j'ai peur que ça n'ait pas tant changé que cela. Nous avons un gouvernement contrôlé par d'anciens étudiants de Harrow et Eton, comme dans les années 50. Dans les années 90, nous avions cette impression que la culture et la politique britannique étaient devenues plus méritocratiques. Je crains que nous restions en fait longtemps obsédés par cette question. Et cela a sans doute à voir avec notre système éducatif qui semble définir ces différences dès le plus jeune âge. Difficile d'ébranler cela.

Parutions.com : D'autres romanciers ont analysé l'évolution de la société anglaise. Vous sentez-vous dans la même lignée que des auteurs tels que Jonathan Coe, Nick Hornby ou Alan Hollinghurst par exemple ?

David Nicholls : C'est terrifiant de se retrouver inclus dans ce groupe d'écrivains ! Je me souviens avoir lu Jonathan Coe quand j'avais 23 ans et je pense que High Fidelity est un livre essentiel pour les gens de ma génération. Peut-être suis-je proche d'eux par les analyses et l'arrière-plan présents dans mes romans mais je me vois plutôt comme un auteur de comédies ou de drames romantiques. Mes écrits ont néanmoins plus de substances et de contexte que la plupart des drames romantiques, vous avez raison. Tous ces auteurs écrivent des histoires sur ce qu'être humain veut dire, mais toujours dans un contexte social marquant. Peut-être le terme comédie sociale définit-il alors le mieux mon travail. Un auteur comme Alan Hollinghurst s'inscrit plus dans cette tendance, avec des romans tels que La Ligne de Beauté où il offre une analyse satirique des franges les plus aisées de la société anglaise. Je le rangerais au côté de Retour à Brideshead d'Evelyn Waugh. C'est un roman admirable sur l'ambition et comment on ne parvient jamais à quitter son milieu d'origine.

Parutions.com : Cette analyse politique de la société et ses évolutions semble propre à la littérature anglaise...

David Nicholls : Dickens a toujours su divertir avec ses romans, et son thème de prédilection est la classe sociale. Pour tous ses héros, Nicholas Nickleby, David Copperfield ou Pip dans Les Grandes espérances, il est toujours question d'ascension et de chute sociale. Il s'agit toujours de gens faisant leur chemin en société avec toujours une volonté d'en atteindre le sommet. Donc cette tradition remonte à loin et peut-être définit-elle en effet une tendance dans la fiction anglaise, le roman social.

Parutions.com : Pour en rester aux grands classiques, Emma adore Les Hauts de Hurlevent d'Emily Brontë. Quelle est votre histoire d'amour favorite dans la littérature anglaise ?

David Nicholls : Je dois toujours le confesser à voix basse car c'est un crime pour un auteur anglais de l'admettre mais je n'ai jamais vraiment compris Jane Austen de la même façon que la plupart des gens. Dickens n'était pas un grand écrivain de romances mais je trouve que la relation entre Pip et Stella dans Les Grandes espérances encore est tout à fait saisissante, à la fois étrange et sombre. Mais si l'on brosse les 19ème et 20ème siècles, on ne peut échapper à Orgueil et préjugés. C'est plus facile je crois avec la littérature américaine. Bien que j'adore Gatsby le magnifique, je pense que Tendre est la nuit du même Fitzgerald est un chef d'œuvre sous-estimé et l'une des plus belles histoires d'amour jamais écrites, à la fois acide, mélancolique, nostalgique, venimeuse et piquante. C'est un livre que je relis sans cesse et que je recommande toujours autour de moi.

Parutions.com : Partagez-vous l'avis des écrivains qui affirment qu'un roman prend son propre chemin, qu'il a sa propre vie, ou pensez-vous au contraire que vous contrôlez vos écrits de bout en bout ?

David Nicholls : Je ne sais pas si c'est parce que j'ai travaillé comme auteur de scénarios mais je me sens plus dans le contrôle. Cela dit, il y a toujours un facteur d'improvisation et le surgissement d'une ''voix'', pas de manière mystique mais parce que vous vous asseyez quotidiennement et vous imaginez comment les gens se parlent et agissent. Mais oui, vous prenez aussi des chemins de traverse, des détours inattendus ; pour ma part, cela ne va jamais jusqu'à l'improvisation totale. Je planifie toujours tout de façon très précise et j'ai toujours une idée forte de mes personnages avant de me mettre à écrire. Un jour a été construit de manière assez détaillée et puis, je me suis trouvé en train de dévier du plan d'origine. Au départ, Dexter devait devenir journaliste mais il n'était pas assez brillant pour atteindre un tel but. Ce n'est pas que je méprise les présentateurs télé mais il m'a semblé que cette carrière lui convenait mieux. Pour Emma, par contre, tout a suivi l'idée de départ, sans surprises majeures donc. Je connais des auteurs qui préfèrent l'improvisation et écrire leurs romans de cette façon. Pour moi, ce serait trop stressant.

Parutions.com : Un jour n'est plus seulement qu'un roman. L'adaptation au cinéma doit sortir cette année et vous en avez écrit le scénario. Le roman comporte de nombreux dialogues très fins, que l'on peut facilement imaginer sur grand écran mais qu'en est-il de la structure ? Qu'est-ce qui est le plus difficile à transférer ?

David Nicholls : C'est en effet aussi un film, que j'ai écrit. Dans un roman, la narration dit les choses plus facilement que dans un film. Dans le roman, vous pouvez dire qu'une année a passé ; sur écran, il faut trouver un moyen de le suggérer, faire comprendre que vous êtes à la même journée mais un an plus tard. Nous avons placé quelques inserts écrits de-ci, de-là. L'autre problème est la structure en épisodes, qui convient tout à fait au livre parce que nous lisons tous ainsi, par séquences, mais c'est un problème pour un film. Il faut que tout coule dans les limites de deux heures, ce qui vous laisse environ six minutes pour chaque année. Or vous ne pouvez pas attribuer le même temps à chacune de ces années car ce serait bien trop répétitif et laborieux. Là était le défi le plus important, faire en sorte que les 20 chapitres s'amalgament en une seule expérience narrative. Mais je crois que nous y sommes arrivés.

Parutions.com : Est-il plus difficile d'adapter vos propres romans ou ceux d'autres auteurs ?

David Nicholls : C'est beaucoup plus facile avec les romans des autres. Ils ont créé les personnages ; le plus dur a été fait et, en même temps, vous n'avez pas ce sentiment de protection que vous ressentez forcément avec vos propres œuvres. Quand on travaille avec ses propres écrits, il faut accepter de douter de soi et de son travail, et accepter aussi d'abandonner 70 % de l'histoire en route. C'est dur mais il faut le faire. Sinon, l'adaptation serait bien trop longue et ennuyeuse.

Parutions.com : Vos deux autres romans, Starter for 10 et The Understudy vont-ils être traduits en français ?

David Nicholls : Oui et j'en suis très heureux. Mes romans ont été traduits un peu partout en Europe et la France a une si belle et longue tradition littéraire ! C'est fantastique d'être traduit en français. Je suis très fier de ces deux autres romans, qui sont tous les deux des comédies plus conventionnelles. Chacun possède sa part d'ombre et de lumière, mais disons que la lumière l'emporte.

Parutions.com : Travaillez-vous en ce moment à un autre roman ?

David Nicholls : Je devrais... Cela fait déjà deux ans qu'Un jour a été publié. Je parle tout le temps de m'y remettre. Il faut que j'aille de l'avant, que je me vide un peu la tête et que j'écrive un nouveau roman cette année.

Parutions.com : Vous avez un vrai succès critique. Un jour a déjà obtenu plusieurs prix. Cela doit être particulièrement réconfortant mais quel est le plus beau compliment qu'un lecteur vous ait fait ?

David Nicholls : C'est ça le plus beau, la connexion avec les lecteurs. Je reçois des emails chaque jour de la part de lecteurs qui me disent à quel point le roman reflète leurs propres vies, ou à quel point ils se reconnaissent dans Emma ou Dexter. Les témoignages sont parfois tristes ou empreints de nostalgies. C'est pourquoi j'écris des histoires d'amour, cela permet ce type d'identification. Beaucoup de gens se reconnaissent surtout en Emma, ce qui est une bonne chose je crois. Je crois que trop d'auteurs ont trop peur d'écrire des personnages du sexe opposé. L'expression même me gêne, je crois que le ''sexe opposé'' est en fait très proche de nous et je suis très heureux qu'Emma ait une voix de femme crédible.

Parutions.com : Pourquoi cette fin avec Emma ?

David Nicholls : Cela ne fonctionnerait pas avec Dexter. Il s'agit d'une histoire de rédemption. Ce roman raconte comment vos amis peuvent vous sauver. Emma sauve Dexter, elle en fait une personne meilleure et le fait revenir sur terre. Dexter est enfin capable d'amour. Cela ne marcherait pas dans l'autre sens. Par ses fragilités mêmes, son insécurité, Emma est quelqu'un de plus solide, fiable et responsable. C'est une personne sage et morale. Une rédemption échouerait dans l'autre sens.

Parutions.com : Il n'y a pas d'amour heureux donc ?...

David Nicholls : Je ne sais pas si c'est possible. Ce roman parle de changement et de comment les personnages grandissent et finissent par atteindre ce stade où ils peuvent être ensemble. Je ne sais pas si, en supposant que l'histoire dure 5 ou 10 ans de plus, sans cette fin, ils poursuivraient la route ensemble ou se sépareraient, s'il la tromperait ou s'ils finiraient par s'ennuyer ensemble. Nul besoin de les promettre à un avenir de total bonheur familial. Si j'avais dû poursuivre l'histoire, un peu d'amertume aurait été nécessaire je pense. Quoi qu'il en soit, ce livre est né de ce jour qui nous attend tous, passage obligé de tous nos calendriers, le jour fantôme... Je ne pouvais pas imaginer ce livre sans cette mort finale. Il n'y avait là aucun caprice d'auteur ni la volonté d'ajouter une épice de plus à l'histoire ; c'est simplement ce dont le roman parle, de ce jour où tout se termine. Aucune autre fin n'était possible pour moi.

Parutions.com : Quelques scènes de l'histoire se passent à Paris ; le lieu idéal pour une histoire d'amour ?

David Nicholls : Bien que le roman ne soit pas autobiographique, tous les endroits dans lesquels l'histoire s'inscrit sont des lieux que j'ai connus. J'étais à Rome au début des années 90, à Berlin en 1988 et à Paris en 2001. J'ai vécu là pendant un certain temps, comme Emma ; j'ai écrit mon premier livre à Belleville quand Emma ''vivait'' là elle aussi. Paris a toujours été ma ville préférée et ce fut un vrai plaisir d'écrire à son sujet.

Entretien mené en Anglais par Florence Cottin le 19 Mars 2011
(Transcription : Christy Dentler - Traduction : Thomas Roman)

( Mis en ligne le 15/06/2011 )
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