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dimanche 28 février 2010

Wally Lamb : le Chagrin et la Grâce


Le Chagrin et la Grâce
Wally Lamb
Traduit par Isabelle CARON
Belfond Etranger (544 p.)
ISBN 9782714445551
Prix : 23 €

Amazing grace

« J’ai ressenti dans le même instant le pouvoir froid, silencieux du passé-mort-mais-vivant et le coup de pied vigoureux de l’avenir : c’est alors que j’ai enfin compris ce qui m’avait jusque-là échappé… Ce fut l’heure où pour la première fois j’ai cru. »

Empruntée à un célèbre negro-spiritual, la phrase qui clôt Le Chagrin et la Grâce est également le titre original du troisième opus de Wally Lamb. Une décennie de réflexion et d’écriture pour le romancier américain et à l’arrivée un roman considérable tant par son volume que par son propos.

Tout comme Amazing Grace, Le Chagrin et la Grâce raconte une rédemption et célèbre le passage de la cécité à la clairvoyance au terme pour l’homme d’un douloureux voyage initiatique sur un chemin parsemé d’épreuves.

Professeur de littérature au lycée Columbine dans le Colorado, Caelum Quirk, le narrateur est marié à Maureen, infirmière dans le même établissement. Le jour du massacre, le 20 avril 1999, Caelum se trouve dans son Connecticut natal pour organiser les funérailles de sa tante. Maureen, elle, travaille lorsqu’Eric Harris et Dylan Klebold font irruption et abattent treize personnes. Cachée dans un placard, Maureen en réchappe mais le traumatisme cataclysmique qu’elle vient de vivre signe pour le couple le début de la descente aux enfers. Leur déménagement dans la ferme familiale de Caelum à Three Rivers n’apaisera pas la situation. Le héros se trouve confronté au passé de ses ancêtres - un héritage insoupçonné qui l’entraîne dans d’obscurs méandres et lui fait perdre ses derniers repères identitaires. La saga des Quirk sur cinq générations et sur fond d’épisodes marquants de l’histoire américaine donne alors au roman une dimension supplémentaire.

Perdu dans le labyrinthe (plus qu’une métaphore, le motif du labyrinthe structure le roman de bout en bout) et sans fil d’Ariane, Caelum se sent envahi par une immense colère qui menace de le broyer.

À travers la quête de Caelum pour trouver un sens à sa vie, c’est la condition humaine dans toute sa complexité que décrit Wally Lamb. Mêlant habilement tragédies réelles et fictives, il montre l’homme tour à tour victime ou bourreau selon les circonstances, en proie au mal sous toutes ses formes – on imagine donc aisément la longueur de la liste ! Ce mal omniprésent et polymorphe provoque nécessairement un chaos individuel ou collectif.

Cependant si l’on en croit la théorie du même nom évoquée à plusieurs reprises dans le roman, le chaos contient en lui-même ses propres facteurs d’équilibre et d’ordre : « Perturbation, chaos, bifurcation … une explosion –locale comme un coup de feu, mondiale comme la guerre – pouvait tout chambarder dans une direction opposée, créer un embranchement. Une voie conduirait à la désintégration, l’autre à un monde réorganisé. »

Certes la douleur et le désespoir habitent une majorité de personnages donnant lieu à de nombreux passages sombres ce qui n’exclut pourtant pas la présence de très belles scènes de solidarité, d’amour ou d’amitié.

Au cours de l’un des derniers chapitres, à l’issue d’un semestre de cours sur la façon dont les mythes anciens éclairent la vie moderne, Caelum demande à ses étudiants de réfléchir à la signification de la gravure de Picasso, la Minotauromachie. « Cette gravure nous montre ce que tous les mythes que nous avons étudiés nous disent … la vie est désordonnée, violente, déroutante et pleine d’espoir » répond l’un d’eux.

Espoir … l’épiphanie finale va bien sûr dans ce sens. Dernière touche d’un roman énorme - foisonnant, turbulent et imprévisible … comme la vie !

Florence Cottin
(mis en ligne sur parutions.com le 3mars 2010)

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