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dimanche 15 février 2009

Tapis rouges et autres peaux de bananes : Rupert Everett


Tapis rouges et autres peaux de bananes
Rupert Everett
K&B éditeurs 2008

Un grand avenir derrière lui ?

Que les lecteurs potentiels ne s’y trompent pas, l’autobiographie de Rupert Everett ne vient pas s’ajouter à la pile d’opus pitoyables rédigés (?) par des célébrités peu inspirées.
Point de logorrhée racoleuse et d’autosatisfaction irritante ! Tapis rouges et autres peaux de bananes dévoile un homme complexe qui raconte sa vie comme il écrirait un roman. (Il en a d’ailleurs déjà écrit deux.)
Un roman à la Oscar Wilde auquel R. Everett fait irrésistiblement penser, à en croire parfois que l’acteur s’est trompé de siècle. On l’imagine aisément membre des « esthètes » discourant de la théorie de « l’art pour l’art » au sein d’un salon littéraire ou entouré de mauvais garçons dans quelque bouge londonien, faisant fi des convenances hypocrites qu’exigeait la société corsetée de l’époque.
Cependant la réalité que décrit Everett correspond davantage au Dorian de Will Self – formidable version trash du Portrait de Dorian Gray qui transpose l’action sur les deux dernières décennies du vingtième siècle au moment où l’explosion du sida ravage les communautés gay et toxicomane. (Dorian, une imitation, Editions de l’Olivier, 2004)
Un monde déjanté que l’acteur britannique transgressant les interdits d’une éducation bourgeoise (nurse, chasse à courre et pensionnats) a tôt fait de rejoindre. Un monde peuplé d’anonymes et de stars qui le fascinent. Lui aussi veut être célèbre, fouler ces tapis rouges et fera tout pour y parvenir, quitte à jouer les groupies et les pique-assiettes. « À dix-huit ans, j’avais dîné à La Coupole à Paris avec Andy Warhol et Bianca Jagger. J’avais sniffé du poppers avec Hardy Amies sur la piste de danse du Munkberry … J’étais accro à l’exaltation et savais ce que c’était de dépendre de la gloire par association …j’étais de la catégorie des petits brillants qui entourent le gros diamant jaune, le tourbillon obligatoire dansant dangereusement près de l’œil du cyclone. »
Ce désir l’habite en fait depuis l’enfance, lorsque Rupert, âgé de six ans, assiste à la projection de Mary Poppins « Quelque chose avait changé. Je le sentais sans pouvoir l’exprimer. Lorsque je me remémore cette scène aujourd’hui, je dirais qu’un ego démesuré et dérangé venait de naître … désormais, il me fallait jouer le jeu, me chercher une personnalité. Mon esprit avait court-circuité … »
Elle se confirme un peu plus tard quand, adolescent, il est envoyé au collège d’Ampleforth, un monastère catholique dans le Yorkshire où il découvre l’ivresse de la scène. « Le bruissement d’un public qui pénètre dans une salle de théâtre lors d’une première produit l’une des sensations les plus fortes qu’il m’ait été données de ressentir. La drogue, le sexe, les châtiments, l’amour … tout paraît fade en comparaison ; à part peut-être l’attente des résultats d’un test HIV. »
Des études d’art dramatique avortées (il est renvoyé de l’école pour insubordination), un passage par Glasgow et l’avant-gardiste Citizens Theatre et puis le triomphe avec la pièce Another Country qui devient ensuite un film « le meilleur de toute ma carrière » et révèle l’acteur au grand public. On connaît la suite, quelques réussites et trop de navets.
R. Everett évoque avec énormément d’humour et d’autodérision les nombreux ratages de sa carrière, les rôles que son homosexualité lui a coûtés (ou comment l’intransigeance victorienne en matières de mœurs semble encore de mise à Hollywood !) et n’occulte pas la frustration qui résulte du sentiment de galvauder son talent.
Au-delà des nombreuses anecdotes amusantes qui mettent en scène le showbiz dans tous ses états, on retient de cette chevauchée psychédélique aux quatre coins de la planète le réel talent
d’écrivain de R. Everett et son art consommé du détail. Les aventures du libertin décadent ne se limitent pas à la seule planète jet-set qu’il vénère mais désacralise tout autant. Il y a l’avant – une enfance particulièrement bien racontée et les à-côtés qui révèlent une autre facette de l’homme et de l’auteur. Ces souvenirs et réflexions (sa relation avec Delphine, transsexuel du Bois de Boulogne, le dernier voyage avec son père, sa complicité avec son labrador, sa présence à Moscou, Berlin ou New York lors d’événements d’importance planétaire, ses amitiés condamnées, sa peur de la maladie …) résonnent d’une tonalité différente.
Lorsque la gravité désenchantée, la tendresse et l’humanité prennent le pas Tapis rouges et autres peaux de bananes atteint une autre dimension. On repense alors à Oscar Wilde qui savait si bien dissimuler sous une apparence légère et brillante une vision tragique de la vie.

(Mis en ligne le 10/05/2008 sur parutions.com)

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