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dimanche 15 février 2009

Proust au Majestic : Richard Davenport-Hines


Proust au Majestic
Richard Davenport-Hines
Grasset 2008 / 20,90 €- 136.9 ffr. / 387 pages
ISBN : 978-2-246-72471-1
FORMAT : 13,0cm x 20,5cm
Traduction de André Zavriew.

Marcel le Magnifique

«Nous sommes à Paris en 1922 ; c’est une soirée de mai… Ce soir un grand souper a lieu dans une des salles à manger privées du Majestic, hôtel de luxe de l’avenue Kléber.» C’est sur cette soirée du 18 mai 1922, donnée par un couple de mécènes anglais, Violet et Sydney Schiff, que s’ouvre Proust au Majestic. «Schiff avait offert au célèbre imprésario Serge Diaghilev de financer une réception réunissant une quarantaine d’invités à l’occasion de la première de Renard, l’opéra-ballet burlesque d’Igor Stravinski, qu’avait exécuté la compagnie de Diaghilev, les Ballets russes, et il s’en était remis à Diaghilev pour les détails.»
De la liste des invités, du menu ou encore des conversations, on ne sait pas grand-chose. Peu importe d’ailleurs car ce qui rendit l’évènement inoubliable fut la présence de cinq figures majeures du modernisme, réunies pour la première et la dernière fois – Serge Diaghilev, Igor Stravinski, Pablo Picasso, James Joyce et Marcel Proust. Ce dîner symbolise donc parfaitement «l’esprit enchanteur du Paris des années 1920»«battait le pouls de la créativité mondiale» et permet à Richard Davenport-Hines de se livrer à une étude brillante et érudite de la révolution moderniste, depuis sa genèse au temps de la Belle Epoque jusqu’à son apogée ; c’est l’un des thèmes de cet essai inclassable. La toile de fond étant plantée, restent les acteurs.
Selon l’auteur, les cinq artistes «détestaient le caractère factice et l’abaissement général de la culture de leur siècle. Ils n’avaient nullement un parti pris de destruction... » mais au contraire «travaillaient à la rénovation de l’art… inventaient de nouvelles façons de puiser à de très anciennes sources.»
Tentatives diversement comprises par le public ! En mai 1922, la renommée de Proust est au sommet - Sodome et Gomorrhe vient de paraître et À la recherche du temps perdu s’affirme comme «une grande œuvre littéraire». Il en va différemment pour James Joyce qui en publiant Ulysses balaie lui aussi d’un revers de main les conventions littéraires mais ne rencontre ni le même engouement ni la même adhésion – injustice incompréhensible que l’Irlandais vit très mal.
Difficile de lutter - irrésistiblement Proust attire la lumière et se détache. À l’évidence, il fascine Richard Davenport-Hines qui lui dédie ce passionnant panégyrique. En effet, Proust au Majestic ne se résume pas à une biographie doublée d’une exégèse de La Recherche, c’est d’abord un magnifique hommage qui s’adresse au néophyte comme au spécialiste. En une sorte de collage cubiste, Davenport-Hines juxtapose les multiples aspects de la personnalité de Proust – son attachement à sa mère, sa judéité, son engagement dreyfusard, son hypocondrie, sa toxicomanie, son rapport ambigu à l’homosexualité, son intérêt pour le monde, lui qui aime se cloîtrer dans sa chambre tapissée de liège…
Il analyse également la fusion entre l’homme et l’œuvre qui va bien au-delà des échos autobiographiques. Surmontant la peur d’être accusé de pédérastie, Proust oriente La Recherche dans une direction audacieuse mais se consume au fur et à mesure que l’œuvre avance. Le sacrifice du génie sur l’autel de son art prend une dimension quasi christique dans le dernier chapitre. Six mois après la soirée au Majestic, très gravement malade, Proust lutte contre la mort mais, toujours mû par l’élan créateur, «continue à travailler, à corriger, à changer, à ajouter».Évoquant la mémoire de Proust, François Mauriac parlait du «destin extraordinaire d’un créateur que sa création a dévoré»…
C’est ce destin que retrace magistralement Proust au Majestic.

( Mis en ligne le 25/02/2008 )

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