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dimanche 15 février 2009

River of the Brokenhearted : David Adams Richards


David Adams Richards
River of the Brokenhearted
Jonathan Cape 2004

Secrets de famille

« David Adams Richards est peut-être le plus grand écrivain canadien vivant. », estimait il y a peu une journaliste du Vancouver Sun. Moins célèbre que Margaret Atwood ou Michael Ondaatje, Richards collectionne pourtant les prix littéraires prestigieux et les critiques dithyrambiques. Son œuvre a pour décor la province du Nouveau-Brunswick, dans la vallée du fleuve Miramichi, où il est né en 1950.
Tout en s’appuyant sur une réalité économique et géographique qu’il connaît bien, il atteint une dimension universelle en décrivant des personnages en proie à des tourments existentiels. Au fil de l’œuvre, les mêmes questions philosophiques reviennent - le choix individuel entre le Bien et le Mal, l’homme et son Destin, la quête spirituelle face à la volonté de puissance et la corruption attenante.
Richards dit avoir attendu, par respect, la mort de son père avant de pouvoir entreprendre la rédaction de River of the Brokenhearted. Le roman s’inspire en effet de l’histoire familiale de l’écrivain, autour du personnage de sa grand-mère.
Wendell King, le narrateur, petit-fils de Janie McLeary, femme de tête et féministe avant l’heure, entreprend un voyage à rebours pour comprendre et éclairer le pourquoi et le comment de la damnation qui frappe ses proches et la haine tenace qui unit depuis des décennies les McLeary et les Druken. Les deux familles sont catholiques, d’origine irlandaise et poursuivent à Newcastle, dans la province canadienne des Maritimes la lutte entamée en Irlande au dix-neuvième siècle, en raison d’un mariage avorté.
Dans les années 1920, Janie attise les ressentiments en épousant George King, l’anglican et en fondant avec lui le premier cinéma de Newcastle. À la mort de George, peu de temps après, Janie refuse de se consacrer exclusivement à l’éducation de ses deux enfants, Miles et Georgina. Elle reprend l’affaire et la fait fructifier, s’attirant les foudres de son principal rival en affaires, Joey Elias, allié des Druken qui n’aura de cesse de provoquer sa ruine. Paradoxalement, elle engage pour s’occuper de ses enfants. Rebecca Druken, la belle-sœur de Joey, vénale et ambitieuse.
Le narrateur se concentre alors sur le portrait de son père, Miles. Incompris, hypersensible qui se réfugie dès l’adolescence dans l’alcool pour oublier le drame dont il se sent à jamais responsable : la disparition tragique de sa sœur lorsqu’ils étaient petits. La question hante le roman jusqu’aux dernières pages. Que s’est il vraiment passé ce jour-là ?
Le personnage de Miles rappelle notoirement celui du héros du précédent roman de Richards, Mercy Among the Children (La Malédiction Henderson, Serpent à plumes, 2003). À l’âge de douze ans, pensant à tort avoir provoqué la mort d’un camarade, Sydney Henderson conclut un pacte avec Dieu, jurant de ne jamais mal agir envers autrui. Figure christique et objet de risée, Sydney reste fidèle toute sa vie à son engagement quelles qu’en soient les conséquences. De la même façon, Miles s’engage pour une improbable raison morale dans un processus autodestructeur. Richards excelle à cette description de l’homme aux prises avec sa conscience. Cependant, ce qui était le sujet principal et merveilleusement bien traité de Mercy Among the Children pose ici problème car Richards semble hésiter quant à l’importance qu’il doit lui accorder. La structure d’ensemble de River of the Brokenhearted souffre donc d’un certain manque de cohérence et donc de fluidité. Tous les personnages ne sont pas non plus aussi convaincants que ceux de Mercy Among the Children. Richards cède parfois au manichéisme, en particulier dans le portrait qu’il dresse des deux sœurs Druken, Rebecca et Putsy dont la vocation religieuse tardive rehausse un peu artificiellement le caractère diabolique de sa puînée.
Il reste pourtant de bien belles pages, émouvantes et vraies. Sur les rendez-vous manqués et les malentendus que la vie nous impose, sur l’amour que l’on n’arrive à exprimer, sur la solitude face à la mort. Bien sûr, Richards est un grand écrivain mais sans doute est-il impossible d’écrire deux chefs-d’œuvre coup sur coup.

(Mis en ligne en juillet 204 sur sitartmag)

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