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dimanche 15 février 2009

Bonté : Carol Shields


Bonté
Carol Shields Le Livre de Poche 2003 / 6.00 €- 39.3 ffr. / 316 pagesISBN : 2-7021-3276-6FORMAT : 11,5x18cm
Première parution : Calmann-Lévy (2003)
Traduit de l'anglais par Céline Schwaller

Reta dans tous ses états

« Il se trouve que je traverse en ce moment une période de grande tristesse et de malheur.» confie Reta Winters, née Summers, la narratrice de Bonté. Au départ pourtant, le tableau semble idyllique. Ecrivain, traductrice, âgée d’une quarantaine d’années, Reta vit dans une maison spacieuse de l’Ontario, non loin de Toronto. A ses côtés, Tom, médecin qui se passionne pour les trilobites – vingt-six ans d’un amour sans mariage, (héritage soixante-huitard) et trois filles, Norah, Natalie et Christine, jolies, brillantes. Un quotidien qui l’épanouit et dont elle savoure les menus plaisirs – le petit café rituel du mardi matin avec ses meilleures amies, la bibliothèque où les fidèles Cheryl et Tessa lui réservent d’office les livres qu’elle aimera lire, la satisfaction que procure une maison rutilante … Et puis soudain, le choc. Norah, dix-neuf ans envoie balader université et petit ami. Pour des raisons obscures elle passe désormais ses journées dans le centre- ville de Toronto «assise par terre près de l’entrée du métro avec son bol et son écriteau en carton.» Muette. Sur l’écriteau, un seul mot se détache : Bonté.
Chacun bien sûr y va de son interprétation - dépression, crise passagère… Délaissant ses trilobites, Tom s’absorbe dans des recherches sur les réactions post-traumatiques. Danielle Westerman, universitaire dont Reta traduit l’oeuvre y voit, en féministe militante, la réponse d’une femme consciente de son impuissance dans un monde d’hommes. Mère blessée dans sa chair, Reta s’obsède à essayer de comprendre.Cette quête désespérée suffirait à faire un bon roman mais Reta est écrivain. Elle a écrit trois ans plus tôt «un roman pour l’été» qui a remporté un vif succès. Suivant les conseils de son vieil éditeur, elle décide d’en rédiger la suite. Pour échapper à la souffrance «une heure par jour. Peut-être deux.»
Deuxième niveau de lecture. Mise en abîme. Bonté est donc également un roman sur un roman en gestation. Et une réflexion passionnante sur l’écriture et la création littéraire. Sur les mots aussi. Les titres de tous les chapitres, qu’ils soient prépositions, conjonctions ou autres font écho au titre original du roman : Unless. Rôle capital pour ces formes invariables du discours auxquelles on ne prête d’habitude guère attention.Le monologue intérieur de Reta tout à la fois reflet du labyrinthe de nos pensées intérieures et technique littéraire permet un va-et-vient fluide entre la vie et l’oeuvre.Ses propos se teintent souvent d’humour, parfois d’une ironie mordante lorsqu’il est question par exemple de ces écrivains qui cèdent à l’intellectualisme effréné ou de ce monde de la création qui exclut les femmes. Qui pense alors ? Reta ou Carol ? «Madame Winters, c’est moi.» pourrait sans doute dire la romancière. Carol Shields fascine régulièrement lecteurs et critiques qui la considèrent comme la plus grande romancière canadienne anglophone. Elle collectionne les distinctions littéraires prestigieuses. Entre autres, le prix Pulitzer en 1994 pour La Mémoire des pierres (The Stone Diaries) On ne peut décidément qu’applaudir sa décision d’écrire «la sorte de livre que je voulais lire mais que je ne pouvais pas trouver.»

( Mis en ligne le 07/11/2005 sur parutions.com )

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