Pages

jeudi 19 février 2009

Alison Lurie : Les Amours d'Emily Turner

Les amours d'Emily Turner
(Titre original : Love and Friendship)
traduit l'américain par Sophie Mayoux
Editions Rivages 1989

Convers College, Nouvelle-Angleterre. Après cinq années d'un mariage sans passion, la belle Emily Stockwell Turner découvre brusquement qu'elle a cessé d'aimer Holman, universitaire terne et morose auprès duquel elle s'ennuie. L'amant potentiel apparaît sous les traits de Will Thomas, musicien talentueux mais paresseux, libertin sans vergogne. Le trio habituel est en place. Emily va-t-elle succomber à la tentation ? De nombreux éléments le lui interdisent, tels sa très bonne éducation, les principes que ses parents riches et peu ouverts lui ont inculqués, son fils Freddy, la vie provinciale et les ragots attenants. Raison et/ou sentiments ?
Le titre original du premier roman d'Alison Lurie, Love and Frienship, fait aussitôt penser aux célèbres Pride and Prejudice et Sense and Sensibility de Jane Austen, tout comme le surnom de son héroïne, Emmy, rappelle Emma. Hommage de pure forme ? Pas du tout. Jane Austen, mère fondatrice du roman féminin, excellait à la description minutieuse et profondément ironique des rapports humains dans de petites communautés provinciales. Experte en dissection de l'âme, elle rendait magistralement compte du processus de découverte de soi. Chez la femme en quête d'un mari surtout. Une approche fort moderne en son temps. Cent cinquante ans plus tard, Alison Lurie utilise une méthode semblable pour analyser une introspection postmariage. Comme son illustre ancêtre anglaise, elle manie le pinceau délicatement. Point n'est besoin d'affirmer, il suffit de suggérer. La satire dans un écrin de velours.
Emily se débat dans un microcosme que la romancière américaine, elle-même universitaire, connaît bien. Contemporaine de Malcom Bradbury, précurseur anglais (décidément !) du genre, Alison Lurie propose sa propre version du campus novel - oeuvre littéraire où le milieu universitaire devient objet de fiction. La plume affûtée saisit au plus près les envies, rancoeurs et jalousies des époux tout à leurs possibilités de carrière, égratigne les épouses et leurs bonnes oeuvres, s'amuse des liaisons qu'on évoque sans nommer, de l'ouverture d'esprit parfois inversement proportionnelle à la culture. Un monde à part, tellement familier pourtant.
Transgressant ses principes, l'héroïne se jette à corps perdu dans l'aventure. Vit, enfin. Se met à nu. Puis vient, inévitable, l'épreuve du choix. La réponse d'Emily lui correspond intimement. Fin de l'auto-analyse. Emily s'est trouvée. Prise de conscience salvatrice ? Alison Lurie laisse au lecteur le libre choix de son interprétation.
"On peut lire Laurie comme on lirait Jane Austen- avec un ravissement permanent." C'est Joyce Carol Oates qui l'a dit. Avis autorisé qui vaut pour ce premier roman comme pour les suivants.

(Mis en ligne en juin 2003 sur sitartmag)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire